De la statistique assurément. Des études économiques c’est moins sûr. Il ne s’agit pas de prétendre qu’on ignore l’économie à l’Insee, mais qu’elle y occupe une place limitée. Les Notes de conjoncture ainsi que d’autres publications nationales attestent de l’intérêt de l’Institut pour cette discipline. Dans la foulée du rapport Stieglitz, l’Insee a même progressé dans la mesure des inégalités. L’économie est toutefois plus présente dans les études nationales que régionales, ce qui n’est pas anormal tant sont rares les données localisées : l’emploi, les rémunérations et pas grand-chose d’autre. Mais au total on privilégie quand même les statistiques à l’économie. Tout semble commencer à l’école ou plutôt dans les différentes écoles de l’Insee. Pour les contrôleurs un rapide survol des théories économiques pour solde de tout compte. Ce qui laisse du temps pour l’essentiel de leur formation : les techniques statistiques et l’informatique. L’enseignement de l’économie à destination des attachés se résume à une présentation de la microéconomie, de la macroéconomie et de la comptabilité nationale. Or commencer le récit de la pensée économique à Walras et Pareto c’est un peu court. C’est comme raconter l’histoire du Titanic en débutant à l’apparition des icebergs. Il en manque. Impossible de comprendre ce qu’amène cette nouvelle école. Impossible de saisir sur quoi elle fait l’impasse. Pour Bernard Maris, l’économie c’était avant tout l’étude du partage. « Qui regarde le gâteau, qui tient le couteau ? » écrivait Maris dans son Antimanuel d’économie. Une question que se posaient les classiques, et qui disparaît chez les marginalistes Walras et Pareto dont la conception de l’économie repose sur les individus. Comment favoriser le profit aux dépens de la rente foncière se demandait l’économiste classique David Ricardo. Question à laquelle il répondait en proposant d’ouvrir son pays au commerce international. Comment varie l’envie de gâteau en fonction de son prix s’interrogeaient Walras et Pareto. Dans le premier cas on propose une vision de l’économie au travers des groupes sociaux. Dans l’autre on étudie les individus dont les choix sont supposés être rationnels. Pourtant, parce qu’ils travailleront sur des agrégats économiques, les agents de l’Insee seront amenés à croiser la question du partage. Qu’est-ce donc en effet que la répartition de la valeur ajoutée entre ménages et entreprises si ce n’est la question du gâteau chère à Maris ? Que fait-on en calculant un taux de marge d’une entreprise, sinon regarder ce qui va aux salariés et ce qui reste à l’entreprise ? Il ne s’agit pas ici d’imposer une vision de l’économie plutôt qu’une autre, mais d’expliquer combien il est intéressant de réfléchir aux concepts. Ce que les futurs agents de l’Insee auront intérêt à ne pas oublier dans leur vie professionnelle. Les élèves administrateurs ont une scolarité plus longue et plus riche en économie. Ils peuvent étudier l’histoire des faits économiques et surtout beaucoup d’économétrie qui demeure la vision privilégiée de l’économie à l’Insee. C’est celle de l’École polytechnique d’où viennent la plupart des administrateurs. C’est aussi celle des grands anciens comme Edmond Malinvaud qui dirigea l’Institut dans les années 70 et 80, et qui proposait une conception de l’économie fortement mathématisée. Cette approche aujourd’hui majoritaire revendique le statut de science. On la qualifie d’économie orthodoxe. Il en existe une autre dite hétérodoxe, qui se revendique comme une science sociale, et qui aime à rappeler qu’elle prend tout son sens aux côtés d’autres sciences sociales comme l’histoire, la sociologie et la psychologie. « Pour faire peur l’économie a les maths comme la religion avait le latin » se plaisait à rappeler Bernard Maris.
On ne fait jamais allusion aux théories économiques dans les publications de l’Insee
Il y a longtemps que l’Insee ne forme plus d’économistes qui font autorité en dehors de l’Institut. Patrick Artus et Jean-Marc Daniel chez les économistes orthodoxes, Michel Aglietta et André Orléan chez les hétérodoxes sont partis depuis de nombreuses années. Éric Maurin n’est pas économiste mais sociologue. Aucun agent de l’Institut ne s’impose non plus dans le débat public comme le font Éric Heyer et Mathieu Plane de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). On peut y voir une stratégie de communication qui met en avant l’Insee plus que ses agents. Mais c’est aussi parce qu’on y produit des chiffres plus qu’on ne les explique. Ce qui est certain c’est qu’on ne fait jamais allusion aux théories économiques dans les publications de l’Insee. Pas de relances keynésiennes dans les Notes de conjoncture, et pour trouver une allusion à Ricardo il faut remonter à plusieurs décennies. On y trouve par contre de nombreux encadrés sur les méthodes économétriques. Pas vraiment étonnant puisqu’on ne propose presque jamais de formations économiques aux agents à l’inverse de ce qui se passe pour les techniques statistiques. Mais à la fin est-ce si important de délaisser la théorie économique ? Oui parce que l’économie c’est le débat. Aucune école ne peut prétendre s’imposer systématiquement aux autres. Ce qui est vrai un jour ne l’est pas nécessairement le lendemain. Les relances keynésiennes ont fini par montrer leurs limites. Le financement des déficits publics considéré comme impossible hier ne l’est plus aujourd’hui. Étudier les différentes théories économiques ne peut donc qu’être enrichissant. Non pas pour bourrer les publications de références à Adam Smith, Hayek ou Piketty, mais pour faire réfléchir ceux qui font des études. Mes concepts sont-ils adaptés ? Quelles sont leurs limites ? Quelles sont les hypothèses sous-jacentes ? Alors peut-être lira-t-on moins de papiers purement factuels. Peut-être que des chargés d’études n’en resteront plus à la simple description du poids des jeunes à Montpellier ou Toulouse. Peut-être oseront-ils écrire que si ces jeunes résident dans ces métropoles c’est parce qu’ils y étudient. Et parce que quitte à s’en jeter un derrière la cravate, c’est plus sympa de le faire du côté du Pont Saint-Pierre à Toulouse qu’a Triffignac-les-deux-Rivières. Peut-être finira-t-on par se rendre compte que les pôles (urbains) n’attirent pas les cadres. Que ce sont juste des hommes et des femmes qui vivent à côté ou pas trop loin de leur boulot, qui se trouve surtout dans les grandes agglomérations. Sinon il faudrait aussi écrire que les derniers ouvriers industriels, dont beaucoup bossent dans l’agroalimentaire, sont attirés par la campagne. Aujourd’hui à l’Insee la réponse à ces insuffisances est purement formelle. Or il ne s’agit pas seulement d’écrire des phrases courtes et d’éviter les adverbes. Il faut d’abord réfléchir au contenu. Ce qui est certain c’est que personne ne perdrait à essayer.
Totalement hétérodoxes ces économistes
La suite du débat sur la dette. C’est ça qui est chouette en économie. Ce n’est jamais fini.
https://blogs.alternatives-economiques.fr/gilles-raveaud/2020/12/14/dette-publique-guide-de-survie-pour-le-reveillon
Très intéressant, je me suis fait la même réflexion pendant des cours d’un master dont l’intitulé est “Etudes stat” mais où la majorité des enseignants se focalisent sur des démonstrations, avec des cours très très mathématisés…
La prééminence de l’économie mathématisée n’est pas propre à l’Insee. Elle est largement majoritaire dans la profession. Jean Tirole est son héraut.
https://www.google.com/amp/s/www.liberation.fr/amphtml/societe/2015/02/02/bataille-d-influence-chez-les-economistes-francais_1193967
C’est encore plus vrai à l’Insee où le débat n’a pas bonne presse. On aurait pu croire que l’ouverture des recrutements à d’autres formations aurait amélioré les choses. Mais à la fin l’orthodoxie économique a veillé au grain.