Surbooké

Le blog de Laurent Bisault

L’Anomalie, Hervé Le Tellier, Éditions Gallimard

Déc 15, 2020 #Gallimard

Alors ce Goncourt ? Car au cas où cela vous aurait échappé, L’Anomalie d’Hervé Le Tellier vient d’être couronné du plus prestigieux prix littéraire de l’année. Celui qui garantit à son auteur de pouvoir vivre de sa plume pendant un bon bout de temps, en transformant son bouquin en cadeau idéal à placer sous le sapin. Reste à déterminer à qui vous allez l’offrir. À ceux qui vous ravissent depuis le jour de votre naissance, ou à ce tonton que vous considérez comme la honte de la famille. Ce n’est pas si simple de répondre à la question. Pourtant l’attribution du Goncourt 2020 n’a donné lieu à aucun suspense. Le Tellier s’est baladé, écrasant ses trois derniers concurrents lors du sprint final. Mais comme le plaisir livresque est tout sauf une vérité scientifique, il y en a toujours qui bougonnent. C’était pas lui le meilleur, c’était l’autre ! Vendus les arbitres, les affamés de chez Drouant ! À croire que la littérature c’est comme le foot, avec juste des compagnons ou des compagnes un peu moins dénudés sur Instagram pour les écrivains que pour les rois du ballon. Tenez, prenez Marceline Bodier la renommée collaboratrice de la rubrique Livres de 20 Minutes et abonnée à ce blog, ce qui atteste de sa qualité. On parle du blog, pas de Marceline, car pour elle la question ne se pose plus. Marceline elle l’a trouvé « séduisant mais cérébral » le Le Tellier. Elle aurait préféré Les impatientes de Djaïli Amadou Amal. C’est vrai qu’il est zarbi le bouquin de Le Tellier, inclassable, multiple, charmeur, horripilant. Roman d’anticipation, thriller, roman d’amour. La règle non-écrite de ce blog étant de ne parler que des livres qu’on a aimés, la question s’est posée de savoir quoi faire. Au début on est séduit par la virtuosité de l’auteur. C’est dur de parler de la manière d’écrire. Disons qu’Hervé Le Tellier écrit vraiment bien. On est ébahi par la construction du livre. Au cinéma on louerait le montage du film. Des personnages partout, dont on a hâte de comprendre ce qui les relie. Il y a Blake comme William Blake, le poète britannique du XVIIIe. Blake le technicien de la mort, pas un vicelard. Un rigoureux dans tout ce qu’il fait. On ne nous le dit pas, mais Blake a un profil à utiliser du matos Makita. Sûrement pas de l’entrée de gamme Leroy Merlin pour découper un corps.

Comme les Ricains sont des gens sérieux, l’affaire est prise en main par toutes les agences de sécurité états-uniennes

Il y a Victor Miesel écrivain dont les livres ne se vendent pas, et qui tire ses revenus de traductions. Pas du genre à se chopper le Goncourt mais quand même. Son dernier roman publié aux éditions de l’Oranger s’intitule L’Anomalie. Pure coïncidence. Et puis Lucie Bogaert monteuse cinématographique qui s’éprend d’André architecte de renom. C’est lui qui a fait les premiers pas, mais Lucie a pris son temps avant d’accepter. Et puis non. Lucie s’est lassée. André est trop envahissant, trop possessif, toujours à exhiber son trophée. Trop vieux également. David Markle aussi, 40 ans, vivant à New-York, qui apprend de son frère médecin qu’il a une tumeur au pancréas. Stade 4, trop avancée pour une opération. C’est David qui pilotait l’avion récemment utilisé par Victor Miesel pour aller de Paris à New-York. L’avion où se trouvaient aussi Blake et Lucie. Une horreur ce voyage, tellement chahuté par la météo que passagers, personnels de bord et pilotes ont bien cru leur dernière heure arriver. Dans le roman on croise également Clark Kleffman militaire américain de retour d’Afghanistan, Joanna Wasserman avocate noire qui défend un fabricant d’insecticide cancérigène, Slimboy roi nigérian de la pop africaine. Et Adrian Miller mathématicien de haut vol, tellement fort qu’il fréquente une médaille Field. Pas Cédric Villani, Miller n’a pas une tête à aimer les araignées. Il enseigne à Princeton ce qui doit en jeter dans un dîner en ville et probablement aussi à la campagne. Tous ces personnages et d’autres encore ont en commun d’avoir voyagé deux fois sur un vol Air France entre Paris et New-York à 106 jours d’intervalle. Mais l’important n’est pas là. L’important est quand le second vol atterrit, ses passagers sont simultanément présents dans l’avion et ailleurs dans le monde. Ils ont un double. Comme les Ricains sont des gens sérieux, l’affaire est prise en main par toutes les agences de sécurité états-uniennes. À partir de ce moment on adhère ou pas au livre. C’est parfois drôle quand le président américain appelle Xi Jinping pour lui annoncer que quelques-uns de ses concitoyens sont dans le second zing que son armée vient d’arraisonner. Il ne sait pas comment lui décrire ce qui se passe. Au point que son homologue chinois finit par lui dire qu’observer un avion se poser plusieurs fois au même endroit, c’est assez commun. Surtout pour un vol régulier. Pourtant, celui qui n’est ni Trump ni Biden, fait de son mieux en étant constamment entouré de scientifiques à qui il passe volontiers la main. Et ça ça nous rappelle quelque chose. Alors à vous de voir si cela vous dit. Ou si vous préférez réserver ce livre à votre tonton favori.

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