Envie de littérature hongroise et plus encore d’un roman universel ? Alors tournez-vous vers János Székely, encore moins connu que Sandor Márai ou Imre Kertész, mais assurément plus accessible. Certains comparent L’enfant du Danube aux Misérables de Hugo ou à certains livres de Charles Dickens parce qu’il s’agit d’un vrai roman feuilleton, un pavé de 800 pages comme en pondaient ces grands auteurs. Mais aussi parce que L’Enfant du Danube est un fabuleux portrait des prolétaires du début du XXe siècle. Il nous raconte les premières années de Bela, abandonné à sa naissance dans une lointaine campagne hongroise par Anna sa mère, qui comprend trop tard que Beaumichel l’a engrossée. Trop tard pour toutes les faiseuses d’anges de la contrée. Bela est déposé chez une vieille prostituée qui élève des enfants dans un gourbi contre monnaies sonnantes et trébuchantes. Comme Anna paie mal et avec retard, Bela devient le souffre-douleur de la vieille peau qui le fait trimer plutôt que de l’envoyer à l’école. Par chance, l’instituteur du village le prend sous sa coupe. Et ce fascinant personnage, gros buveur et grand cœur, va non seulement apprendre à lire et à écrire à Bela, mais également l’initier à la culture. C’est lui qui sauve la mise au jeune garçon menacé de prison, en obtenant qu’il soit envoyé chez sa mère à Budapest. Fin de l’épisode campagnard, début des délices urbains, quand Bela se retrouve à quinze ans au Faubourg des Anges. Un quartier de la capitale hongroise, à quatre heures de marche du centre-ville, où s’entassent des familles dans de minuscules logements. Anna case son fils comme groom dans un hôtel de luxe. Une fonction non rémunérée hormis de putatifs pourboires, et surtout l’espérance d’accéder à un emploi supérieur. C’est dans cette partie du roman que Székely nous livre une description de la misère dans la Hongrie des années 30. Un pays amputé de la majeure partie de son territoire depuis le traité de Versailles, dirigé par Miklós Horty futur allié de Hitler et de Mussolini. Être pauvre en Hongrie signifie avoir faim tous les jours et devoir lutter pour garder son logement. Interviennent heureusement pour Bela des rencontres qui lui amènent, au moins provisoirement, un peu d’espoir. Élemer, son collègue de l’hôtel qui voudrait l’initier aux écrits de Marx. Patsy, la jeune américaine, qui lui explique que l’Amérique est un pays où les pauvres ont tous leur chance. L’ensorceleuse aristocrate qui joue avec perversité des sens de l’adolescent. Mais jour après jour la vie devient plus dure pour ces prolos, qui gardent près d’eux la bouteille d’eau de javel, qui permet d’en finir. Avec la montée du chômage, l’emploi se fait plus rare, et l’action de l’État se limite à l’achat de bateaux pour repêcher les suicidés du Danube. Heureusement pour Bela, comme pour Székely qui émigra en Amérique, le pire n’est jamais certain.