Surbooké

Le blog de Laurent Bisault

Canal Mussolini, Antonio Pannacchi, Éditions Liana Levi

Sep 1, 2019 #Liana Levi

Deux pour le prix d’un. La vie d’une famille de métayers installés du côté de Ferrare en Émilie-Romagne. Et le récit de la prise de pouvoir de Benito Mussolini et des fascistes en Italie. Voire trois car ce livre très réussi, qui reçut le prestigieux prix Strega en 2010, suscita une polémique sur son contenu. Au début du XXe siècle les Peruzzi travaillent les terres des comtes Zorzi Villa. Ils sont nombreux, une tribu de dix-sept frères et sœurs, car comme il faut beaucoup de bras pour pratiquer cette agriculture qui ignore les machines, alors autant faire des enfants. Surtout que tous ne survivront pas. Mais ça tombe bien, les hommes aiment les femmes dans cette famille, les femmes le leur rendent bien, alors on s’agite le soir sous les draps, à commencer par le grand-père et la grand-mère du narrateur dont on ne découvre le nom qu’à la fin du roman. On vous parle ici du petit-fils, pas des grands-parents, les Peruzzi mais ça on vous l’a déjà dit. Même si on vit plutôt bien à la ferme, les Peruzzi ne possèdent rien, sinon des dettes. Alors ils ne manquent pas de soutenir les plus rouges des syndicalistes qui viennent parler au pays. Pas les socialistes de base, mais les plus durs d’entre eux qu’incarne Benito Mussolini. Alors quand Benito vient à la ferme ils tombent sous son charme, d’autant plus qu’il en profite pour réparer la herse de la famille. Et pour regarder les fesses de la grand-mère, ce qui met en pétard le grand-père qui la traite aussitôt de traînée. L’a-t-il aussi emmenée au lit, la grand-mère s’en défendit toute sa vie, y compris quand ses jeunes enfants clamaient à qui voulait les entendre « qu’il avait baisé Mémé ». Avec la Marche sur Rome, Mussolini accède au pouvoir et la famille vire du rouge au noir. Rien d’idéologique mais la seule conviction que le pays était désormais en de bonnes mains. Ce que ne comprirent pas les Peruzzi, c’est que le Duce fut à l’origine de leur ruine en instaurant les quotas 90, qui ne furent rien d’autre qu’une réévaluation de la lire, une livre sterling valant désormais 90 lires parce que le temps était passé où l’Italie était quantité négligeable. Mais comme toute réévaluation de la monnaie, celle-ci provoqua une baisse des prix. Une aubaine pour les industriels, qui comme les Agnelli importaient leur énergie et leur acier. Une catastrophe pour les métayers car le prix du blé fut divisé par deux. La faim en poussa 30 000 du Frioul, de Vénétie ou du Ferrarais à émigrer au sud de Rome dans un projet pharaonique du parti fasciste : l’aménagement des marais Pontins. Une zone parfaitement insalubre, ravagée par la malaria et où ne vivaient que quelques bandits. À la clef des parcelles dont ils seront à terme propriétaires. Les travaux avancent, des villes sont mêmes créées à proximité alors que Mussolini était précédemment un fervent partisan de la ruralité, et surviennent les ambitions guerrières du Duce. Avant même la seconde guerre mondiale, il décide de repartir à la conquête de l’Abyssinie plus connue aujourd’hui sous le nom d’Éthiopie. Pourquoi donc l’Italie n’aurait-elle pas d’empire alors que la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne en ont un ? Et voilà certains de nos Peruzzi partis en Afrique alors que la précédente tentative de conquête s’était terminée par une débâcle. Sans avoir lu le livre, vous savez sans doute que ce deuxième essai fut moins catastrophique que le précédent. Et inutile de dire que Mussolini s’était opposé à la première tentative. Autres temps autres morts. La description des aventures guerrières de l’Italie fasciste est un vrai régal. Dès le début, l’aviateur Italo Balbo tente d’expliquer à Mussolini que l’Italie ne peut pas attaquer les États-Unis. Rabroué par le Duce, il sort de l’entrevue en disant « Y d’vient fou ou quoi ? Montre-le donc à un médecin, fiston ! ». Et quand les Italiens affrontent les Anglais en Libye, il y a soixante mille Britanniques contre trois cent mille Italiens. « Trois cent mille charlots » ajoute Pennacchi. Certes le livre ne critique pas le régime italien, mais ce n’est pas le sujet. Il s’agit du récit de la vie d’une famille. Le portrait de Mussolini rappelle d’ailleurs celui que Chaplin en fit dans le Dictateur. Alors pourquoi s’en priver ? Pourquoi se priver de la découverte par des paysans du Nord d’un autre pays. Pas la même langue, des habitants qui les traitent de mangeurs de polenta alors qu’eux les appellent les bougnoules. De la découverte des olives qui partent au fossé faute de savoir qu’en faire. Mais qu’on se rassure, en Italie comme en France, quand les Américains eurent gagné la guerre, le peuple vint les applaudir.

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