Surbooké

Le blog de Laurent Bisault

La nuit des béguines, Aline Kiner, Éditions Liana Levi

Jan 8, 2019 #Liana Levi

Un roman d’une femme sur les femmes. Un roman féministe. Facile nous direz-vous. Mais un roman féministe qui se déroule au Moyen-Âge, à la fois érudit et passionnant par son intrigue. Tellement passionnant qu’il a constitué un des bons succès des libraires en 2018. Vous êtes à Paris entre 1310 et 1314 sous le règne de Philippe le Bel. L’époque est sympathique, tolérante au point que l’on pourrait presque dire que les Hérétiques constituaient une énergie renouvelable tant on les envoyait facilement sur les bûchers. Relisez ou regardez à nouveau Les Rois maudits pour en savoir plus. Pourtant au cœur de ce qui sera plus tard le quartier du Marais existe un havre de paix entièrement dédié aux femmes. Le grand béguinage royal, créé par Saint-Louis, en accueille une centaine qui vivent, travaillent, étudient comme bon leur semble. Elles forment une communauté mi-religieuse mi-laïque qui échappe en grande partie à l’Église, où les femmes souvent veuves échappent en plus à un remariage. Mieux encore elles sortent quand elles le souhaitent, même pour tenir commerce, ce qui n’est pas sans susciter des réactions défavorables de leurs concurrents. La vieille Ysabel est herboriste et s’occupe de l’hôpital. Noble de naissance, elle a rejoint le béguinage après la mort de son second mari. Elle comprend vite que l’intrusion de Maheut la Rousse va susciter des difficultés. Parce que cette couleur est celle du diable. Mais aussi parce qu’elle découvre rapidement que Maheut a fui son mari qui l’avait préalablement violée. Ysabel met à profit ses connaissances pour placer Maheut en-dehors de la communauté, chez Jeanne du Faut qui travaille la soie pour assurer son indépendance. Mais d’autres dangers se précisent. Marguerite Porete, une béguine de Valenciennes est condamnée au bûcher place de Grève pour avoir écrit Le Miroir des âmes simples et anéanties, un brûlot où elle parle de Dieu comme d’un amant. Passe encore que l’on fasse flamber les Templiers, mais une femme c’est une première. Ce n’était donc pas une bonne idée d’avoir entrepris de traduire en latin, la langue universelle, ce livre au sein du grand béguinage. Aline Kerner nous donne un récit particulièrement documenté de l’époque en nous décrivant les manœuvres de Philippe le Bel pour soumettre le pape et sa férocité pour venger le cocufiage de ses fils. Mais le roman vaut tout autant par ses personnages. Ysabel la sage qui dirige en sous-main une grande partie de la communauté. Maheut qui se réveille à la vie au contact d’un marchand italien. Jeanne qui fait vivre une palanquée d’employés par le savoir qu’elle a développé. Leur solidarité et les droits qu’elles ont acquis sont probablement uniques dans l’Histoire. À ne manquer sous aucun prétexte.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *