Après Le cinquième Beatles et Un printemps 76, Vincent Duluc continue à tracer son sillon de romancier. Histoire de faire comprendre à ceux qui en douteraient encore qu’on peut diriger la rubrique foot de l’Équipe et être un excellent écrivain. Exit cette fois le ballon et place à la natation. Kornelia c’est Kornelia Ender, quatre fois championne olympique à Montréal en 1976, trois fois médaille d’argent en 1972 à Munich quand elle n’avait pas quatorze ans et multiple recordwoman mondiale. Mais sa notoriété ne venait pas que de ses performances sportives, eussent-elles été entachées par le dopage institutionnalisé en République démocratique allemande (RDA). Kornelia était aussi une femme magnifique dont le maillot mouillé en a fait rêver plus d’un. À commencer par le jeune Vincent, onze ans, qui la plaçait dans son panthéon des blondes au côté de Véronique Sanson et de Stevie Nicks la chanteuse de Fleetwood Mac. Disposer d’une telle nageuse était un incroyable atout pour les dirigeants de la RDA qui avaient fait du sport leur premier instrument de propagande. Si ce pays de 17 millions d’habitants damait le pion à la grande Amérique, c’était parce que le socialisme et ses méthodes scientifiques étaient à même d’assurer le bonheur du peuple. Mais la science en Allemagne de l’Est ne s’arrêtait pas à la détection précoce et à l’organisation de compétitions chez les jeunes pour dépister les futurs champions. Elle était aussi développée dans ce mystérieux bâtiment de Leipzig où les chimistes préparaient des potions à en rendre jaloux Panoramix. De simples vitamines officiellement. Mais des vitamines qui faisaient descendre d’une octave la voix des nageuses si on en croit leurs concurrentes américaines. Shirley Babashoff a été la plus coriace. La Californienne ne voulait pas admettre que ses heures d’entraînement ne fussent pas suffisantes pour grimper sur la plus haute marche des podiums olympiques. Elle ne se gênait donc pas pour expliquer que les maillots des nageuses de l’Est laissaient apparaître des fesses poilues. C’était probablement vrai sauf pour Kornelia dont la plastique était inattaquable. Ce statut d’idole mondiale poussa sans doute le régime politique à accélérer son mariage avec Roland Matthes lui aussi quatre fois champion olympique de natation. Ces unions laissaient espérer des descendances qui perpétueraient le succès de la RDA. Les Soviétiques s’y étaient essayés aussi en rapprochant un champion olympique d’athlétisme et une de gymnastique. Mais ces succès à venir restent le plus souvent virtuels. Le mariage de Kornelia Ender et de Roland Matthes ne dura pas longtemps. Il avait épousé un mythe et il s’est retrouvé avec une jeune femme qui ne savait même pas faire cuire des pommes de terre. Leur divorce leur valut l’acharnement de la Statsi qui les priva de tous leurs avantages matériels. On ne joue pas en vain avec les icônes du pouvoir dans un État totalitaire. La seconde union de Kornelia n’arrangea pas grand-chose car son conducteur de bobsleigh de mari était surveillé par es trois compagnons. Leur tentative de fuite à l’Ouest fut de toute façon, peu avant la chute du mur de Berlin, dénoncée par le père de Kornelia. À la fin du livre, Vincent Duluc tente de se convaincre que Kornelia n’avait pas été dopée comme les autres nageuses. Il tente pour cela de s’appuyer sur l’absence de dossier retrouvé à son nom dans les archives de la Stasi ainsi que sur le flou qu’entretient encore la nageuse sur ce sujet. Mais il n’y croit pas lui-même. Cela lui permet tout au plus de ne pas interroger Kornelia dans l’enquête qui a précédé l’écriture du livre. Le sujet est aujourd’hui secondaire car le portrait qui lui est consacré est un des plus beaux qui ait été fait sur un mythe du sport. Bien plus touchant que celui rédigé par Lola Lafon sur Nadia Comaneci dans La petite communiste qui ne souriait jamais. Ce livre est l’égal de Courir écrit par Jean Echenoz sur Émil Zάtopek. Parce que Duluc est comme Echenoz, non pas un biographe de sportifs, mais un écrivain.