Si vous cherchez un livre qui vous présente la société telle qu’elle est et non pas telle que l’auteur la fantasme. Si vous voulez une magnifique histoire d’amitié. Si vous ne comprenez rien à Internet bien que vous soyez éternellement connecté alors ne manquez pas La théorie de la tartine que nous propose une jeune femme de 36 ans. Blogueuse de son état et franchement portée sur le numérique et le sexe. Comme quoi personne n’est parfait. Après Les Morues qui racontait la vie de trois copines parisiennes, Titiou Lecoq nous propose un roman aussi passionnant qu’un polar, tout en décryptant l’évolution du Net comme pourrait le faire un sociologue. Sauf que chez elle, ça se dévore. On y découvre Marianne qui blêmit après avoir cliqué sur le lien que lui a envoyé Christophe. Elle ne le connaît pas encore, mais elle comprend rapidement qu’elle vient de découvrir la sextape qu’elle a faite avec son ex. Dans un pur fantasme à usage privé et assurément pas pour qu’on la poste sur un site de cul. Mais prenez-le pour vous, sextape rime définitivement avec emmerdes. Ce n’est pas Mathieu Valbuena qui nous dira le contraire. Nous sommes en 2006, l’époque d’un Internet balbutiant, que ses créateurs ont pensé comme un espace libertaire où l’anonymat est de mise. Sans loi ni régulation. Christophe en est un des acteurs, qui essaye de vivre de son site d’informations en ligne. Un projet enthousiasmant mais dont le modèle économique reste à inventer. Cela le contraint à se contenter pour l’essentiel des revenus de sa femme. Refusant de relayer la vidéo comme lui demande son principal actionnaire, il tente d’aider Marianne à surmonter l’événement. Il contacte Paul, post-adolescent de 19 ans branché informatique, qui travaille parfois pour lui. Le trio est créé et ne va plus se quitter. Ils ont beaucoup en commun, l’addiction au Net et la précarité de leur existence. Car des trois, Christophe est celui qui s’en sort le mieux. Marianne vit dans une quinzaine de mètres carrés depuis sa séparation. Le prix à payer pour avoir trompé Gauthier. Elle tente modérément de terminer son DEA sur le simulacre et le spectacle de Baudrillard et Debord appliqué à Internet, et survit de son métier de pionne. Paul habite encore chez ses parents qu’il déteste dans une sexualité purement numérique. Il s’avère rapidement qu’il est plus facile de pourrir la vie de Gauthier que de faire disparaître la vidéo. Car le Net n’oublie rien. Intervient donc le moment où on harcèle Gauthier, on l’agonit d’insultes, on lui fait livrer des pizzas à toute heure du jour et de la nuit. Avant d’associer dans les moteurs de recherche son nom à « petite bite ». Passe encore de crouler sous les margherita mais voir raccourcir son image de marque est infiniment désagréable. On retrouve les trois amis neuf années plus tard. Gauthier a pris du galon en devenant rédacteur en chef d’un nouveau site tout en continuant à osciller entre déontologie journalistique et ordres de ses patrons. Paul a quitté ses parents, découvert une autre sexualité, et trouvé le moyen de gagner sa vie en commercialisant une méthode d’élargissement du pénis. Pas vraiment honnête mais ça lui permet de ne pas travailler. D’où sa disponibilité pour pourrir Nadine Morano sur les réseaux sociaux ce dont on ne saurait lui tenir rigueur. Il associe même Marianne à son gagne-pain en l’envoyant à Bruxelles récupérer le fruit de ses ventes. Elle peut ainsi passer son temps entre sa fille qu’elle a eue avec un homosexuel, car rien n’est simple avec elle, et sa vie privée. Côté numérique, les trois amis doivent reconnaître que le Net a changé. Le nihilisme originel a cédé la place aux grandes entreprises. Les internautes sont tracés à chaque connexion et ces informations vendues à des firmes qui les utilisent pour optimiser leur business. Le temps des fondateurs est passé.