Autant le savoir. Si vous êtes adepte du grand barbu, féru de la faucille et du marteau, adorateur du Capital, pas celui de Piketty, le vrai, celui de Karl, vous pourriez être surpris. Parce que le portrait que dresse Sébastien Spitzer du génial philosophe décoiffe. C’est aussi en cela que le bouquin est sain, parce qu’il nous présente le personnage tel qu’il a été et non tel qu’on se l’imagine. Car si on en croit Spitzer, tout est vrai dans son roman, même si le mot « roman » signifie aussi qu’il en a inventé une partie. Mais pas celle qui se rapporte à Marx ou à son fidèle second Friedrich Engels, avec qui il cosigna Le Manifeste du Parti communiste en 1848. N’allez pas pour autant voir dans le livre un quelconque règlement de compte idéologique. Spitzer est avant tout un écrivain qui aime l’histoire, en témoigne son livre précédent Ces rêves qu’on piétine consacré à Magda Goebbels. Un auteur qui écrit sacrément bien en nous racontant la vie de Freddy, le fils caché de Karl Marx et de sa mère adoptive Charlotte. Que Marx ait engrossé sa bonne est avéré. L’homme était excessif en tout. Dans sa capacité de travail, dans son ambition d’écrire le livre qui allait le rendre célèbre en décryptant le capitalisme. Sa voracité se retrouvait aussi dans son appétit, un ogre. Ce que l’on sait moins c’est qu’il a tout fait pour se débarrasser de cet enfant. Ou du moins de se faire débarrasser du bâtard par Engels. Car Friedrich allait passer sa vie à payer pour Karl. Il en avait les moyens en travaillant comme associé de la manufacture que son père avait créée à Manchester avec un industriel local. Mais l’appui d’Engels allait bien au-delà de l’appui financier. Apparemment convaincu qu’il devait tout faire pour faciliter les travaux de Marx, Engels organisa l’avortement de la bonne, mais trop tard, pour éviter la naissance. Le jeune Freddy fut alors pris en charge par une jeune Irlandaise qui venait de perdre son bébé. Charlotte et Freddy disparurent de la vie des deux auteurs avant de réapparaître des années après au grand dam de Marx et de sa baronne de femme. Entre-temps Charlotte aura vendu son corps tant qu’elle trouvait preneur, Freddy se sera révélé être un gamin débrouillard. Engels se sera mis en ménage avec deux de ses ouvrières tout en pratiquant la chasse au renard en compagnie de lords. Et Marx aura avec obstination refusé de prendre un travail salarié. À défaut de toucher l’héritage familial que lui refusait sa mère, il aura tout au plus gagné un peu d’argent en boursicotant, prétextant ainsi voler les capitalistes. Mais certainement pas assez pour se passer des subsides d’Engels. Outre ses personnages, l’intérêt du livre vient aussi de la description des usines textile où femmes et enfants perdaient leur santé, quand ce n’était pas un membre. La description de la crise du coton, qui arrêta l’industrie anglaise quand la Guerre de sécession la priva de matières premières, vaut aussi le détour. Les Irlandais décimés par la maladie de la pomme de terre, n’en avaient vraiment pas besoin.