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Le blog de Laurent Bisault

Re-Made en France, Thomas Huriez, Éditions Dunod

Nov 19, 2020 #Dunod

Relocaliser l’économie, en voilà une idée qu’elle est bonne. Arnaud, enfile ta marinière, lâche ton pot de miel et viens nous voir, ça va t’intéresser. Thomas Huriez va tout nous expliquer. Pourtant, il le dit lui-même au début de son bouquin, il n’est pas économiste. Juste un entrepreneur motivé par la préservation de l’environnement. Et c’est bien pour cela qu’il est passionnant, lui qui s’est mis dans la tête de relancer la fabrication des jeans du côté de Romans (Drôme). Certes nous dit Huriez, il y a plein de bonnes raisons économiques à produire en France. Lesquelles ? Allez donc faire un tour du côté de sa ville drômoise, ancien fleuron de la chaussure en France. Six mille personnes y travaillaient le cuir en 1970 dans 80 usines ou ateliers dont la célèbre entreprise Charles Jourdan. Aujourd’hui exit les emplois. Il ne reste de la chaussure que le Musée international qui expose des modèles aux talons immenses conçus pour grandir les seigneurs. On nous aurait donc menti, Nicolas Sarkozy ne serait pas originaire de Hongrie mais de la vallée de l’Isère ? On pourrait ajouter que la disparition de l’industrie a d’autres conséquences : déséquilibre des échanges extérieurs et abandon de la recherche et du développement qui lui sont intimement liés. Plus grave pour Thomas Huriez, l’arrêt des fabrications hexagonales se paye par des atteintes à l’environnement. C’est bien beau de refuser les usines parce que ses métiers ont mauvaise presse ou parce qu’elles polluent. Mais non seulement on déplace la pollution et en plus on l’aggrave. Avec la mondialisation un jean parcourt jusqu’à 65 000 kilomètres entre le champ de coton et votre magasin pour la fabrication du fil, son tissage, le traitement de la toile et la confection du vêtement. Le tout dans des pays dont les normes environnementales sont infiniment moins strictes que les nôtres sans parler des conditions de travail des salariés. Huriez qui a commencé sa vie professionnelle en ouvrant un magasin de vêtements éthiques à Romans, là où il a des attaches familiales, se met en tête de relocaliser le jean en France. Avouons quand même que la vente des ponchos péruviens dans une ville ravagée par le chômage constituait un business plan quelque peu ambitieux. Il décide de « se retrousser les manches » ce qui semble constituer une bonne base pour se lancer dans l’industrie textile, et de créer son entreprise dénommée 1083. Comme le nombre maximal de kilomètres entre deux points de l’Hexagone. Objectif tout fabriquer ou presque en France, et dans un deuxième temps contribuer à la baisse de la production mondiale de jeans en privilégiant le recyclage.

Les tenants des théories économiques seraient tentés de nous dire qu’il faut automatiser

La plateforme de financement participatif Ulule lui apporte de quoi débuter, et lui permet de mieux connaître les attentes de ses clients. Le jean slim a certes la cote mais ne préfèrent-ils pas une coupe moins moulante ? Plus que la création de son entreprise, Thomas Huriez comprend qu’il lui faudra reconstituer une filière. Pour débuter il a bien du mal a dénicher un tisseur de denim en France, ou du moins qui accepte de s’y coller sur de petites quantités. Même constat pour la confection qui aboutit à Marseille dans un établissement dont les dirigeants arméniens ont eu la bonne idée de conserver les machines de leur ancienne activité. Plus tard 1083 sera amenée à reprendre Valrupt Industries, une entreprise vosgienne en cessation d’activité qui était son principal fournisseur de denim. Aujourd’hui un jean 1083 voyage entre les Vosges, la Loire, Romans, Marseille ou Bobigny. À part le coton bio, obligatoirement bio, tout vient de France sauf les rivets. Et encore une entreprise qui produit des clous pour les pneus devrait bientôt s’en charger. Comment donc expliquer cette réussite attestée par les 65 salariés et le rachat de l’ancienne usine Charles Jourdan de Romans ? Comment peut-on produire des vêtements avec un coût du travail infiniment plus élevé qu’au Bangladesh haut lieu du textile mondial ? Les tenants des théories économiques seraient tentés de nous dire qu’il faut pour cela automatiser, numériser la production pour faire des gains de productivité. Ce n’est pas ce qui a été fait, si ce n’est pour blanchir les jeans au laser, mais là encore pour préserver l’environnement et non pas pour diminuer les coûts. Les pantalons romanais seraient-ils hors de prix et réservés à une clientèle richissime ? Pas davantage puisqu’on peut en acheter à partir de cent euros, soit le prix d’un Levis. La réponse provient de la stratégie commerciale adoptée par Huriez. Il a renoué avec ce qui se faisait dans les Trente glorieuses. Il obtient ses prix de vente en multipliant les coûts de fabrication par deux ou trois alors que certaines marques ont des coefficients allant de huit à douze. 1083 s’appuie aussi sur son circuit de production court. Inutile de fabriquer en très grand volume comme le font ses concurrents en Asie, pour ensuite jeter ce qui n’a pas été vendu.

Cette réussite que l’on souhaite durable n’a pas pour autant de valeur normative.

On l’a vu, diminuer les atteintes à l’environnement constituait la première motivation de Thomas Huriez. La simplification du processus de production y contribue comme le choix du coton bio. La culture de cette plante, souvent génétiquement modifiée, absorberait le quart des pesticides dans le monde. La mise au point du jean Infini, consigné et recyclable à l’infini, lui permet d’aller plus loin. Le lin et le chanvre, produits en France, sont d’autres alternatives à la toile de coton. Huriez revendique également un management innovant avec des salariés autonomes, à même d’accomplir chacun l’ensemble des tâches de production. Ce qui permet davantage de souplesse pour poser ses congés. Il a aussi développé le tourisme industriel dans son usine pour doper les ventes, mais nous dit-il aussi parce que les salariés seraient mieux mis en valeur. L’échelle des salaires ne va que de un à cinq. Et le financement de l’entreprise prend soin de se préserver de la voracité des fonds de pension. Cette réussite que l’on souhaite durable n’a pas pour autant de valeur normative. Ce qui a réussi ici peut échouer ailleurs ou fonctionner sur d’autres bases. L’Atelier Tuffery fabrique des jeans à Florac en Lozère depuis quatre générations avec un cahier des charges différent. Les toiles sont françaises mais aussi espagnoles ou italiennes. Le coton n’est pas systématiquement biologique et on peut lui préférer le chanvre ou la laine. La confection se fait intégralement à Floirac. On peut attester de la qualité de la production. D’autres industriels ont relancé ou préservé le textile français. Thomas Huriez aime à rappeler qu’il travaille avec Le slip français, Smuggler le dernier fabricant de costumes hexagonaux installé à Limoges, ainsi qu’avec les marinières Saint James élaborées à côté du Mont-Saint-Michel. Alors Arnaud, une veste Smuggler sur une marinière normande, un jean 1083 et un caleçon français ? Ça va le faire.

https://www.1083.fr/

https://www.ateliertuffery.com/

4 thoughts on “Re-Made en France, Thomas Huriez, Éditions Dunod”
  1. J’adore ton descriptif de l’ouvrage 🙂 ça donne clairement envie de le lire, surtout quand on est déjà dans cet état d’esprit comme moi ! comme quoi, ça peut marcher ! à l’heure du black friday et des ventes nombreuses sur Amazon pour des produits pas chers qui viennent de très loin, ces expériences donnent de l’espoir.

  2. Merci. Tous ces commentaires positifs me font énormément plaisir. Parler d’économie n’est pas nécessairement ennuyeux quand on ne bride pas les gens. Alors désormais j’en profite. Je crois à la reconquête d’une partie du marché national avec des initiatives venant de la base. Une réussite comme celle de 1083 n’est pas qu’économique. Je suis persuadé qu’elle apporte du bonheur à de nombreux salariés. Pour avoir testé un jean des Ateliers Tuffery, je peux témoigner de leur incroyable qualité. Il y a d’autres projets qui ont abouti dans d’autres domaines comme les vélos électriques Moustache bike qui se sont positionnés sur le haut de gamme. À chacun de trouver son chemin. Ma seule déception vient de ce qu’Arnaud n’a toujours pas répondu à mon tweet.

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