Surbooké

Le blog de Laurent Bisault

Em, Kim Thúy , Éditions Liana Levi

Juin 24, 2021 #Liana Levi

L’histoire du Vietnam par petites touches. C’est ce que nous propose Kim Thúy dans Em. « Em » qui signifie en vietnamien le petit frère ou la petite sœur dans une famille. Ou encore le plus jeune ou la plus jeune de deux amis. Ce sera donc pour nous l’histoire née d’une photo que Kim Thúy a vue sur Internet avec une petite fille dans une boîte de carton sur un trottoir vietnamien, et à côté d’elle un jeune garçon couché enveloppant la boîte. Le livre est né quand Kim a appris par ses parents que cette petite fille était désormais une personne importante de l’armée américaine. Des nouvelles du jeune garçon elle n’en a jamais eu alors elle les a imaginées. Cela donne la vie de Emma-Jade (Em) et de Louis qui se sont un jour retrouvés dans un aéroport qu’ils fréquentaient tous deux comme voyageurs professionnels avant de se revoir ailleurs. Mais avant, bien avant, il y a pléthore d’événements remontant à la présence française en Indochine. Il y a un pays meurtri par une lutte sans fin contre l’occupant, un peuple que rien n’abat ni en temps de paix, ni les massacres commis par la première puissance mondiale pendant la guerre. Pensez donc vingt mille vols effectués au-dessus du Vietnam, vingt millions de gallons de défoliants et de pesticides. L’agent orange, rose, vert, pourpre, et comme le riz résistait l’agent bleu qui en asséchant le sol a fait crever la culture. Un quart du pays aspergé, trois millions d’humains empoisonnés, un million de malformations congénitales. Kim Thúy fait partie de cette histoire vietnamienne car elle a fui à dix ans avec ses parents son pays dans la cale d’un boat-people qui les a menés dans un camp de Malaisie. Ensuite vint pour elle le temps de s’installer à Montréal et de devenir avocate puis d’écrire des livres. Le miracle est qu’on ne trouve aucune haine dans Em. Surtout pas envers les soldats qui ont massacré tant de villageois, dont Kim nous dit qu’ils n’ont été que des victimes d’adultes qui avaient décidé pour eux. Em est un message d’amour envers les Vietnamiens qui ont tant souffert et dont beaucoup ont réussi à se réinventer ailleurs. Et aussi une ode aux mélanges car beaucoup de ceux qui se sont épris des Vietnamiennes étaient sincères. On vous défie d’ailleurs de ne pas tomber sous le charme de cette femme magnifique, à l’accent mêlé de ses racines asiatiques et de sa vie québécoise.

C’est un massacre, tout le monde y passe, hommes, femmes, bébés, vieillards, avec en plus le viol des femmes

Em débute avec Alexandre un Français qui dirige six mille coolies vietnamiens en haillons dans sa plantation d’hévéas. Ces arbres ne sont pas d’ici. Ils ont été plantés dans des travaux mortifères pour les ouvriers qui avaient préalablement rasé les forêts de bambous aux rhizomes imbriqués. Pour sauver son bien, Alexandre négocie la survie de ses hévéas contre les bombardements et les épandages de l’armée américaine en abattant assez d’arbres pour que passent camions, jeeps et chars d’assaut. L’autre danger qui le guette, lui comme ceux qui font couler le latex le long des arbres, vient du caoutchouc synthétique. Mais contre celui-là il ne peut rien faire. Quand Alexandre comprend que le quart de ses plantations ont été décimées par l’agent orange, et que son contremaître a été assassiné par la résistance communiste, il se défoule sur Mai. Cette femme à la peau cuivrée a été envoyée sur la plantation pour tuer les arbres à petit feu en les incisant afin que le latex ne coule plus. Mais son amour pour ce vieux gaulois d’Alexandre a mis fin à sa mission. Et puis Tâm, la fille du maître et de son ouvrière arrive. Rien que de très commun. Quand le village se transforme en champ de bataille pour les deux camps, c’est sa nourrice qui la sauve en l’emmenant à plusieurs semaines de marche. Elle passe trois ans à My Lai à côté de sa nouvelle grand-mère avant d’être admise au lycée Gia Long le plus prestigieux de Saïgon. Le jour où Tâm accompagne sa nourrice dans son village l’armée américaine débarque. C’est un massacre, tout le monde y passe, hommes, femmes, bébés, vieillards, avec en plus le viol des femmes. Tâm est sauvée par un pilote d’hélicoptère qui l’emmène et la dépose dans un orphelinat géré par des sœurs infirmières. Ils se retrouvent trois ans plus tard pour s’aimer avant que le pilote disparaisse. Tâm se tourne alors vers les boîtes de nuit de la grande ville pour survivre. Ensuite viendra l’histoire de Louis.

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