Surbooké

Le blog de Laurent Bisault

Connemara, Nicolas Mathieu, Éditions Actes Sud

Fév 7, 2022 #Actes Sud

C’est peu dire que je l’attendais ce nouveau Nicolas Mathieu. Parce que je place cet auteur au sommet de mon panthéon littéraire. Celui où figurent les écrivains dont je pourrais ne pas aimer un bouquin tout en étant certain de lire le suivant. La question de la fidélité des lecteurs, Nicolas Mathieu se l’est souvent posé, lui qui a mis longtemps avant d’être publié. Son premier roman édité Aux animaux la guerre s’est vendu à 9 000 exemplaires. Joli succès, pas forcément suffisant pour le sortir de sa période de vaches maigres. Bingo avec le suivant Leurs enfants après eux grâce au Goncourt, un prix qui a parfois tari l’imagination des auteurs ou l’appétence des lecteurs. Le Vosgien est probablement rassuré avec Connemara qui est plébiscité par les critiques. Après l’avoir lu je sais que je suivrai ce romancier pendant longtemps car son livre m’a amené très loin dans la nuit pour le finir, ce qui ne m’était plus arrivé depuis le premier tome de Millénium. Même éditeur certes, mais il y a bien d’autres raisons, tous les romans publiés chez Actes Sud n’ont pas cette qualité. En apparence l’histoire est simple. Hélène proche de la quarantaine retrouve Christophe dont elle était amoureuse au lycée. La cadre sup revient de Paris et s’est installée à Nancy en famille après un burn-out. Lui l’ancienne vedette de l’équipe de hockey sur glace n’a jamais quitté Épinal où il vivote entre ses copains et son métier de commercial d’une marque de croquettes pour animaux. On suit leur liaison en alternant avec le récit de leur adolescence.

« Sur le papier, elle avait tout »

Le roman est porté par la colère d’Hélène qui est aussi celle de l’auteur. Et ils en ont des raisons de se révolter. Elle en a passé du temps Hélène pour s’élever socialement, brillante au lycée, flirtant avec le concours général, école de commerce puis embauche dans un cabinet de conseil. Pourtant elle en avait des handicaps cette fille de la classe moyenne par rapport à sa copine Charlotte. Elle ignorait les filières qui menaient à la réussite quand Charlotte était pilotée par ses parents. Vacances à La Grande-Motte d’un côté, l’île de Ré de l’autre. En plus les garçons ne la regardaient pas alors qu’elle avait découvert son corps. D’abord en lisant des bouquins interdits chez Charlotte, Régine Deforges, Arthur Miller, L’amant de Lady Chatterlay. Des livres avec des pages scandaleuses selon Charlotte, qui les lisait deux fois pour mieux les réprouver. Hélène s’en était sortie, elle avait réussi. Elle avait troqué un conformisme pour un autre, celui d’une famille sans prétentions contre les ambitions des managers. Puis vint le temps du burn-out et le retour à Nancy que son conjoint Philippe avait accepté en lâchant un super poste chez Axa ainsi que ses potes de badminton. « Sur le papier, elle avait tout, la maison d’architecte, le job à responsabilités, une famille comme dans Elle, un mari plutôt pas mal, un dressing et même la santé. Restait ce truc informulable qui la minait, qui tenait à la fois de la satiété et du manque. Cette lézarde qu’elle se trimballait sans savoir. ».

Pour eux Valls était un génie

Nicolas Mathieu « voit la littérature comme une vengeance contre le mal qui nous est fait ». Dans ce roman il s’en prend aux managers, aux consultants, ceux qui vendent de la matière grise pour toujours à la fin réduire la masse salariale. Ceux que les politiques et les administrations sont allés chercher à la suite de la fusion des régions. Dans les cabinets de conseil on a tout de suite saisi l’opportunité. Ils étaient persuadés que le redécoupage géographique ne ferait pas économiser un centime mais il y avait du blé à se faire. Ils disposaient pour cela d’un verbiage qui les rendaient intouchables. Ces slides, ces seniors managers qui forwadaient direct en tarifant leur intelligence. Peu importe que leurs rapports n’apportent rien comme ceux que McKinsey est incapable de défendre devant le Sénat. Pour eux Valls qui leur avait ouvert la porte était un génie. Ils étaient là pour déceler les passe-droits, tous ces arrangements qui faisaient croire aux salariés qu’ils étaient bien traités. « Une fois, l’énumération faite chacun se comparait ». Alors ceux qui perdaient leurs avantages exigeaient qu’on frappe au moins aussi fort dans les autres services.

On leur dirait barrez-vous, cassez-vous, c’est de Nicolas Mathieu dont nous avons besoin

C’est comme cela que ça s’est passé. L’efficacité promise comme les économies on les attend encore. Seul bémol l’alignement des statuts s’est parfois effectué par le haut. Et c’est exactement cette méthode qui devait être utilisée pour réformer les retraites. Voulez-vous travailler jusqu’à 65 ans a demandé le pouvoir ? Non a répondu la foule. Mais si on le fait aussi pour les cheminots, qui continueront à bosser le week-end et la nuit, tout en travaillant plus longtemps a ajouté le pouvoir ? Si on nique les cheminots ça nous va. Quand on a compris ça et qu’on est de gauche on devrait en bonne logique se tourner vers Mélenchon, Jadot, Hidalgo, Taubira et Roussel, tout en épargnant Poutou pour faire plaisir à Guillaume Meurice. On leur dirait barrez-vous, cassez-vous, c’est de Nicolas Mathieu dont nous avons besoin. C’est lui qui nous fait comprendre le monde qui nous entoure. C’est lui notre président. Ce choix aurait toutefois un inconvénient, car rien ne prouve qu’on puisse à la fois diriger un pays et écrire. Il y a certes un exemple : Václav Havel qui a été président de la République tchèque. Mais a-t-il publié pendant ses mandats ? Et puis lire Havel ça doit être chiant tandis que dévorer Mathieu c’est du pur plaisir. Alors autant le garder parce que de toute façon ce sont les romanciers qui influent sur le cours de l’histoire. C’est Hugo qui a posé les premières pierres de l’abolition de la peine de mort, Zola qui a démontré l’innocence de Dreyfus, Balzac qui s’est opposé au viol conjugal (ici). C’est vers le Tourangeau que se tournait Bernard Maris pour comprendre la richesse. Et puis Nicolas Mathieu ne demande rien. Il est comme tous ceux qu’il observe dans la vraie vie. C’est un écrivain du réel.

Qu’en dit Bibliosurf ?
https://www.bibliosurf.com/Connemara.html

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