Un second livre de fiction pour Benoît Vitkine qui arrive à point nommé. Sorti en février 2022 ce roman est aussi passionnant que Donbass. Le correspondant du Monde à Moscou a tenu sur son compte Twitter à remercier le président ukrainien Volodymyr Zelensky d’en avoir fait la réclame en dévoilant une bonne partie de l’intrigue. Le tweet date de novembre 2021 et Zelensky a depuis trouvé bien d’autres occupations. Benoît Vitkine aussi, lui qui depuis le 4 mars 2022 ne tweete plus pour ne pas relever des nouvelles lois russes sur la presse. Si le caractère romanesque du récit est revendiqué par son auteur, il ne faut pas s’y tromper. On y trouve tant d’éléments pour comprendre comment s’est constituée l’Ukraine depuis l’éclatement de l’URSS qu’on ne peut que le recommander pour comprendre ce pays. Comme le livre est également haletant, captivant, il serait dommage de se priver de ce magnifique roman noir. On en profite pour se féliciter de la qualité de la collection « Équinox » qui accueille les romans de Vitkine, ainsi que d’autres réussites comme La Meute de Thomas Bronnec dont on a dit beaucoup de bien sur ce blog.
Les oligarques ukrainiens sont aujourd’hui plus puissants que les russes
Les Loups nous emmène en 2012 après la victoire à l’élection présidentielle d’Olena Hapko dont Vitkine nous dit dans sa postface qu’elle n’existe pas. Elle est une construction qui s’appuie en partie sur Ioulia Tymochenko, qui s’inclina au second tour de la présidentielle de 2010 avant d’être emprisonnée par le président élu. Ces deux femmes, l’imaginaire et la réelle, incarnent la singularité de l’Ukraine dans le monde post-soviétique. L’Ukraine étant le seul pays en dehors des pays baltes qui a presque été dirigé par une femme. Les Loups sont aussi des personnages de fiction, mais tellement proches des oligarques ukrainiens qui contrôlent les entreprises, les médias et les députés. Des hommes souvent partis de rien qui ont amassé des fortunes en tuant, assassinant autant que nécessaire. En arrachant, découpant, revendant des entreprises, sans oublier de détourner l’argent public. Les oligarques ukrainiens sont aujourd’hui plus puissants que les russes car ils n’ont pas été mis sous la coupe du pouvoir politique comme l’a fait Poutine dans son pays. Poutine on le croise dans le roman avec une conception de l’Ukraine qu’il met en application depuis quelques jours. Car pour lui « Les Ukrainiens ne sont que de vagues cousins dégénérés à qui il convient de taper régulièrement sur le crâne pour leur rappeler les bonnes manières ».
Elle est la Chienne, la femme d’affaires la plus riche en Europe orientale
Dans trente jours, le 30 juin 2012 Olena Hapko sera présidente de l’Ukraine. Elle vient d’être élue avec 52,7% des voix. Olena Hapko réunit les principaux hommes d’affaires du pays au palais Chirinsky. Iossif Kozilevski l’ancien gangster juif, dit Le Chevelu, le plus vif. Teodor Valkov dit Le Gendre surnommé ainsi parce qu’il a épousé la fille du premier président ukrainien, et n’a eu qu’à ouvrir la bouche pour capter 3 % des importations d’or noir du pays. Pavlo Levitski qui a fait fortune en vendant les armes du ministère de la Défense. Platon Eremeev le Technocrate qui s’est acheté une image d’austère gestionnaire. Et tous les autres. C’est la première fois que tous ces Loups sont réunis. Ils ont investi sur Olena, le plus souvent aussi sur ses adversaires, et espèrent bien en récolter les bénéfices. Olena est des leurs. Elle est la Chienne, la femme d’affaires la plus riche en Europe orientale, la Princesse de l’acier, l’Impitoyable. Elle a cinquante-deux ans, elle est encore belle, elle en joue mais trouve son cul trop gros, elle couche avec ses jeunes gardes du corps.
« Reprenons le pouvoir, récupérons l’argent »
La future présidente a promis aux Ukrainiens de transformer le pays, de créer une société plus juste. Elle a écrit « Reprenons le pouvoir, récupérons l’argent » sur ses affiches électorales. Olena sait que ce sera compliqué. Pourra-t-elle enjamber ses contradictions ? Elle a promis de publier son patrimoine pour attester qu’elle ne s’enrichira pas pendant son mandat. Mais officiellement elle ne possède rien. Ses biens appartiennent à des sociétés écrans le plus souvent chypriotes. Même sa Porsche Cayenne est au nom de sa tante de quatre-vingt-sept ans. Elle croit connaître son pays parce qu’elle sort d’une famille qui n’avait rien. Parce qu’elle s’est construite en bravant les hommes. Mais pourra-t-elle imposer à ceux qui l’ont portée une justice qui ne leur serait pas acquise ? Les forcera-t-elle à réduire leurs prélèvements sur l’économie pour que les entreprises ukrainiennes redeviennent compétitives ? Les habitants pourront-ils enfin aller chez le médecin sans verser des pots-de-vin ? Croiser des policiers sans se faire rançonner ? Dans trente jours Olena Hapko sera présidente si elle demeure ce qu’elle a toujours été : la plus forte des carnassiers ukrainiens. Et si les Russes ne la mangent pas.
Qu’en dit Bibliosurf ?
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