Surbooké

Le blog de Laurent Bisault

L’écrivain et les politiques

Avr 4, 2022
French writer Nicolas Mathieu poses during a photo session on September 19, 2018, in Paris. (Photo by JOEL SAGET / AFP)

Il est écrivain, romancier, adulé sur ce blog, et il vient de livrer l’analyse la plus pertinente de « l’affaire McKinsey ». Nicolas Mathieu a pour cela écrit un post sur son compte Instagram pour dire en quoi les explications qui nous en sont proposées demeurent insuffisantes. Elles tiennent en trois points, la gabegie, la collusion et la défiscalisation, mais passent à côté de l’essentiel : l’idéologie portée par ces sociétés. La gabegie fait référence à des factures monstrueuses pour des tâches qui auraient pu être effectuées en interne, à des missions dénuées d’intérêt ou jamais évaluées. La collusion c’est l’accusation portée contre McKinsey d’avoir participé à la campagne d’Emmanuel Macron en 2017, en partie gratuitement, d’où la possibilité d’un renvoi d’ascenseur. C’est un point qui pourrait être examiné par la justice pénale. La défiscalisation fait référence à l’absence de paiements de l’impôt sur les bénéfices par McKinsey depuis une dizaine d’années. Elle s’explique par une optimisation fiscale agressive de l’entreprise américaine. Un procédé qui consiste à déporter les bénéfices engrangés en France vers la maison mère localisée dans un paradis fiscal le Delaware.

Les consultants qui interviennent dans les entreprises et les administrations ne sont donc pas neutres

Reste donc l’essentiel pour Nicolas Mathieu : l’idéologie. Car les cabinets de conseil, McKinsey et les autres, sont les vecteurs de la pensée libérale. Une idéologie développée par l’économiste Friedrich Hayek et mis en application par Ronald Reagan et Margaret Thatcher. Elle s’est caractérisée par une déconstruction de l’État au profit du privé. Sur la fin de sa vie, Hayek déniait à la puissance publique le monopole de la monnaie, et avait appuyé le Chili de Pinochet au nom de la liberté en économie. Les consultants qui interviennent dans les entreprises et les administrations ne sont donc pas neutres. Leurs formations, leurs savoirs les poussent, consciemment ou non, à la recherche de l’efficacité. Or nous dit Nicolas Mathieu « la démocratie n’est pas efficace ». Et de développer dans Libération que la démocratie c’est lent, c’est bavard, ça demande des compromis, mais c’est ça qui tient la société. De même la santé ne se résume pas à une comparaison des coûts et des gains. Sinon on aboutit aux Ehpad d’Orpea. Confier à McKinsey une mission sur la réforme des aides personnalisées au logement (APL) c’est leur demander de les baisser. Ce n’est en rien comparable à un audit financier commandé par une équipe municipale qui vient d’être élue.

Alors que les effectifs reculaient, des niveaux hiérarchiques supplémentaires étaient apparus

Autre forme de l’idéologie des cabinets de conseil, le management et son obsession du classement des individus et des indicateurs de performance. Nicolas Mathieu y consacre de nombreuses pages dans Connemara pour en dire toute la nocivité. Le romancier a réitéré ses propos en février à la librairie Ombres blanches de Toulouse en expliquant tout sourire que le management c’était des conneries. Quel plaisir pour moi qui n’ai jamais été capable d’en convaincre mes anciens collègues de l’Insee. Pourtant je voyais année après année ces techniques de gestion du personnel prendre davantage de place au sein de notre service public. Les entretiens d’évaluation devenaient chronophages, les cadres A notant leurs collègues et les cadres B, les B évaluant les C. Alors que les effectifs reculaient, des niveaux hiérarchiques supplémentaires étaient apparus, sûrement pour une plus grande efficacité. Des primes spécifiques avaient été créées auxquelles les agents ne voulaient plus renoncer quand ils les avaient acquises. Les changements de postes devenaient plus complexes, car ils ne devaient pas entraîner de pertes financières. Les attitudes des agents évoluaient aussi. Il devenait imprudent de déplaire à l’autorité hiérarchique au risque de perdre une future promotion. Les indicateurs de performance se multipliaient sans aucun rapport avec le travail effectué. On nous reprochait de les boycotter, quand bien même ils n’avaient aucune rationalité, car ils étaient devenus essentiels aux yeux de Bercy. Et encore ce n’était rien en comparaison des récents projets d’indexer les rémunérations des enseignants sur la réussite des élèves.

« C’est le livre macronien par excellence »

Parce que Nicolas Mathieu avait obtenu le Goncourt pour Leurs enfants après eux, Emmanuel Macron l’avait en 2020 cité en présentant sa réforme des retraites. Il promettait de ne pas abandonner ceux que le système avait déjà abandonnés, leurs enfants et leurs enfants après eux. L’allusion n’était pas due au hasard puisque plusieurs proches du président s’étaient empressés de dire que le Goncourt de l’année était pour eux une source de connaissances des transformations sociales. Même si ajoutaient certains ils ne l’avaient pas encore lu, mais ils allaient le faire. « C’est le livre macronien par excellence, il faut le lire » avait selon Le Monde renchéri Julien Denormandie alors ministre chargé de la Ville et du Logement. Pas sûr que toutes ces personnes aient passé du temps sur Connemara qui a succédé aux Enfants après eux. Il ne fallait peut-être pas le prendre pour une quiche l’écrivain. Même si Nicolas Mathieu est Lorrain.

Une forme d’intelligence particulière à développer

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *