Chronique écrite à l’occasion des 40 ans de l’association Solagro
Ils sont forts chez Solagro. Ils ont réussi à entrer dans mon domaine professionnel sans que je m’en aperçoive. C’était vers l’année 2006, au service central des enquêtes et études statistiques du ministère de l’Agriculture, le Scees, dans un ouvrage consacré à la forêt. On m’avait confié la réécriture des textes et l’ingénieur de l’ONF qui bossait avec nous avait sélectionné les contributeurs. Je ne m’étais pas méfié parce que la norme était de ne travailler qu’avec des gens respectables. Des syndicats professionnels, des associations forestières, des services statistiques ministériels, l’Insee. J’aurais quand même dû être plus attentif parce que le gugusse qu’on m’avait fourgué dans les pattes, un certain Philippe Pointereau, dirigeait le Pôle agroenvironnement de son assos. Or chez nous si on avait droit au terme « agro » ça n’était pas le cas du mot « environnement ». Ce qui aurait aussi dû attirer mon intention c’était que son papier intitulé « Forêt et biodiversité » prétendait, je cite, que « La sylviculture a toujours fonctionné comme un système à faibles intrants avec peu ou pas d’engrais ni pesticides et pas d’irrigation ». Parce c’est pas bien les engrais et l’irrigation ? Première nouvelle. Et c’est quoi ces pesticides. Chez nous on parlait de produits phytopaharmaceutiques, éventuellement de produits phytosanitaires, ce qui était beaucoup plus présentable. Je vous passe le reste, un bestiaire complètement fou qui évoquait le lynx, le geai, le casse-noix moucheté et même la chouette de Tengmalm. En fait je me demande si ce n’est pas à partir de cet instant que ma carrière est partie dans une mauvaise direction.
Pas de bol, il n’avait pas accès aux données individuelles dont il avait absolument besoin
Ce qui est certain c’est que j’ai par la suite commis une faute de débutant. J’avais eu la mauvaise idée, une fois le bouquin terminé, d’appeler Philippe et de lui dire que j’étais en panne de travail. Ne dites jamais ça à Philippe, c’est quelque chose qu’il ne peut pas comprendre. Et le voilà en train de m’expliquer qu’il avait imaginé un indicateur pour mesurer la diversité des cultures. Mais que, pas de bol, il n’avait pas accès aux données individuelles des exploitations agricoles dont il avait absolument besoin. Je lui ai donc fait ses calculs, et après en avoir discuté avec lui, j’ai écrit le papier qui allait avec. Dans mon esprit le Scees allait le publier, ce qui constitue une preuve supplémentaire de mon extrême naïveté. Parce qu’à peine soumis à ma hiérarchie, il m’est revenu avec un avis négatif. C’est à ce moment que j’avais imaginé demander s’il était possible de le sortir uniquement avec nos deux noms. Oui m’avait-on dit sous l’extrême réserve que le ministère n’apparaisse nulle part dans la publication. Ce qui fut fait d’autant plus simplement que je m’occupais de la mise en page du quatre pages du service, et qu’il fut facile de respecter la consigne en introduisant à foison le logo de Solagro en lieu et place de celui de la République française. C’est ainsi que « La monoculture et ses dangers pour l’environnement » aboutit dans les pages du journal Le Monde.
Déjà à l’époque quand j’allais le voir l’hiver, il portait un col roulé sous sa doudoune
Grâce à Philippe j’ai eu le plaisir de voir un de mes papiers repris en trois langues : allemand, italien, hongrois, avec en plus pour les Magyars le logo de la FNSEA. Je n’ai jamais compris pourquoi. J’ai vu revenir quelques mois plus tard ma directrice qui me disait qu’elle avait enfin compris que notre papier était excellent. J’ai beaucoup appris au contact de Philippe. J’ai davantage compris l’agronomie en parlant avec lui qu’en treize années de service statistique. Pourquoi les cultures bio ne pouvaient pas facilement se passer des animaux. Comment l’agriculture s’est transformée à partir des années 70 avec l’apparition de l’agrochimie. Il m’avait même expliqué les dangers du surpâturage au Kirghizistan quand je lui avais dit que je partais y faire du vélo. C’est sûrement vrai, je lui fais confiance, mais je ne peux pas vous le confirmer. Au-dessus de 3 000 mètres quand vous pédalez vous ne voyez plus rien. Quand j’ai quitté le ministère pour retourner à l’Insee, j’ai gardé un œil sur ses travaux notamment L’Afterres 2050. Pendant longtemps je ne voyais pas où vous vouliez en venir. Mais maintenant qu’on nous parle sobriété, j’y vois un peu plus clair. De toute façon Philippe a toujours été un visionnaire. Déjà à l’époque quand j’allais le voir l’hiver, il portait un col roulé sous sa doudoune. J’ai cru comprendre qu’il devait plus ou moins quitter le navire. Ça m’étonnerait beaucoup qu’il cesse de travailler. Mais peu importe. Je suis très fier d’avoir fait un bout de chemin avec vous et je vous souhaite à tous et toutes plein de bonnes choses.
La monoculture et ses dangers pour l’environnement
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