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Le blog de Laurent Bisault

44 jours, David Peace, Éditions Rivages

Jan 1, 2023 #Rivages

Lendemain de Noël 1962, la carrière de Brian Clough prend fin dans la boue et la glace d’une surface de réparation du Roker Park de Sunderland. Simulation hurlent ses adversaires. Pas lui dit l’arbitre, il ne simule jamais. Clough tente bien de rejouer après l’opération mais en vain. L’avant-centre prodige, 251 buts en 274 matchs pour Middlesbrough et Sunderland, presque uniquement en seconde division, se retrouve sans rien. Gros et alcoolique.1974, l’ancien joueur devenu manager arrive à Leeds autre ville industrielle du nord de l’Angleterre. Il succède à Don Revie parti diriger l’équipe nationale. Les deux hommes se haïssent au point que dès son arrivée Clough fait brûler le bureau et toutes les affaires de son prédécesseur. Leeds vient de gagner le championnat, Brian Clough l’a emporté avec Derby County deux ans avant. La presse qui connait le franc-parler de Clough lui demande ce qu’il va apporter à Leeds. Mieux gagner répond celui qui n’aime pas se faire marcher sur les pieds au point de déclarer : « Je ne crois pas en Dieu. Je crois en moi. Brian Howard Clough. ».

Rapidement son président a voulu le virer

Clough souhaite surtout se débarrasser de l’héritage de Revie, même du costume que son prédécesseur a porté pendant treize ans parce que selon lui le vêtement est vieux et qu’il sent mauvais. Il a appris son nouveau métier à Hartlepool, un petit club de quatrième division au nord de Middlesbrough sa ville natale. Il y a peint les tribunes, débouché les canalisations et conduit le bus des joueurs. Rapidement son président a voulu le virer avec son adjoint et ami Peter Taylor. Mais Clough s’est appuyé sur les supporters pour contraindre son dirigeant à démissionner. Ses bons résultats le font remarquer par Derby County qui l’embauche en compagnie de Peter Taylor. Derby n’a rien gagné depuis la Coupe d’Angleterre en 1946 et le club vient de se maintenir dans la douleur en seconde division. Dès son arrivée Clough fait partir seize joueurs, le recruteur, les jardiniers, des employés. Peine perdue, le club finit dix-huitième, à une place de la relégation. Mais il remonte en première division l’année suivante, avant d’être titré un an après. Il emmène dans la foulée Derby jusqu’en demie-finale de la Coupe d’Europe, ce qui ne l’empêche pas de présenter sa démission l’année suivante parce qu’il ne supporte plus son président. En réponse les supporters l’applaudissent lors du premier match disputé sans lui, et les joueurs demandent son retour.

Ce fut pour lui un accident industriel

Si vous avez aimé Rouge ou mort de David Peace, l’histoire du Liverpool Football Club de Bill Shankly, alors ne manquez pas 44 jours. Quarante-quatre jours c’est la durée du passage de Brian Clough à la tête de Leeds United qui figurait encore parmi les grands d’Angleterre. Son échec était presque écrit car Clough détestait ce club, comme il détestait Don Revie qui lui avait savonné la planche en partant. Mais il avait besoin de retrouver un club, un grand, et Leeds était le champion sortant. Ce fut pour lui un accident industriel entre deux réussites exceptionnelles, à Derby puis à Nottingham Forest. Brian Clough, la plus grande gueule du championnat anglais, était pourtant un entraîneur qui allait marquer l’histoire. Il s’inscrivait dans la filiation de ce qu’avait fait Bill Shankly à Liverpool qu’il aurait un jour convié à parler à ses joueurs dans le vestiaire. Clough se disait comme Shankly socialiste, plus que Shankly, car il soutenait les candidats travaillistes. Mais il montrait beaucoup moins de bienveillance pour ses joueurs que l’entraîneur écossais. Si Shankly encourageait ceux qu’il avait retenus pour porter le maillot rouge, Clough était capable de pourrir son équipe. Sa philosophie de jeu était basée sur la circulation du ballon au sol, tout le contraire du traditionnel kick & rush britannique.

 Le récit de David Peace retrace une époque révolue du football

Les bouquins de David Peace montrent combien le football est un marqueur de la société. Ce sport était celui de la classe ouvrière quand les usines tournaient encore en Angleterre. On sait qu’il allait se transformer en entreprise de spectacle avec les arrivées de Thatcher et de la mondialisation. 44 jours est écrit en alternant la période de Derby et celle de Leeds. Si Clough a façonné le club de Derby en choisissant ses joueurs, il n’en a pas eu la possibilité à Leeds. Leeds la tricheuse hurlaient les supporters des équipes qui rencontraient le club phare du Yorkshire, une attitude que ne supportait pas Shankly. Leeds dont les joueurs filaient des coups sur tous les terrains, emmenés par leur rugueux capitaine Billy Bremner. « Ils sont dégueulasses et ils trichent. Ils en font un art. » avait dit Clough à un de ses meilleurs potes. Le récit de David Peace retrace une époque révolue du football dans laquelle les joueurs se déplaçaient davantage en bus qu’en avion tout en fumant abondamment. Clough n’était pas en reste étant lui-même un amateur de clopes, de cognac et de whisky. Les joueurs s’arrêtaient pisser dans les aires de service et en profitaient pour se faire embrasser par les serveuses. Les pages du bouquin sentent bons les fish ans chips, les pintes qu’on prenait dans les pubs. Elles nous font voyager dans tous ces stades qui ont tant fait rêver ceux qui aiment la patrie du foot. Wembley, Stoke, Huddersfield, Middlesbrough ou Sunderland. Des villes dont les équipes n’étaient pas encore construites avec les chéquiers des milliardaires.

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