Surbooké

Le blog de Laurent Bisault

Violette au bois des fous, Madeleine Melquiond, Éditions Favre

Jan 11, 2023

Violette soixante-douze ans s’est loupée. Elle a vidé sa bouteille de somnifères sans vraiment savoir pourquoi si ce n’est qu’elle vit seule dans sa grande maison. Mais voilà, sa demeure est reliée à la caserne de pompiers qui ont rappliqué dare-dare, et l’ont emmenée à l’hôpital. Le psychiatre l’engueule et l’envoie au bois des fous. Dans son nouvel environnement Violette est estampillée TS pour « tentative de suicide ». Elle partage la chambre d’Eva et de Carole dont les parcours sont tristes à pleurer. Les repas se prennent en commun dans la salle du réfectoire avec le soir la distribution de médocs en guise d’apéro. Les patients, plus calmes qu’excités, se placent au choix à une des sept tables. Les menus sont adaptés aux pathologies et aux religions. Les zigs pour les patients, les zinzins pour les infirmières, les zazas en guise d’aides-soignantes, les kapos surnom des cadres de l’hosto, la microsociété a forgé son vocabulaire. Le dictionnaire local recense aussi les patronymes : Moulin à paroles, Gros tas, Blue Eyes, Lascive, Artiste et beaucoup d’autres. Pour Violette ce sera Poésie car l’ancienne journaliste a élargi son univers littéraire la retraite venue. Si la vie de l’établissement semble paisible, c’est parce qu’on sépare ceux qui y séjournent. Les plus dangereux, les pervers, les révoltés, les obsédés sexuels, sont isolés. Une nuit Lascive hurle : « Au viol ! ». Et d’accuser Artiste en réveillant tout le pavillon. Examen, nouvel examen au sein de l’hosto, aucune trace de viol ni d’agression sexuelle. Pourtant Artiste déjà condamné pour attentat à la pudeur ferait un bon coupable. On vient rarement pour rien au bois des fous. Les malades ont tous leurs faiblesses et leurs failles. Violette aussi, elle qui s’était dit petite fille « Tu seras folle un jour ». Arrivera-t-elle à les identifier et à se reconstruire ? Et à sortir ?

« Mais qu’allez-vous donc faire au ministère de l’Agriculture ? »

Cette chronique n’est pas une chronique comme les autres. C’est une sorte d’hommage que j’avais envie de rendre à une femme qui a beaucoup compté dans ma vie professionnelle. J’ai croisé Madeleine Melquiond pendant cinq jours en 1995 quand elle enseignait au Centre de formation et de perfectionnement des journalistes (CFPJ) de Paris. On ne devient pas journaliste en une semaine. Madeleine formait aussi les responsables de journaux d’entreprise. Responsable était un mot mal adapté à mon statut. Je venais de prendre mes fonctions au service statistique du ministère de l’Agriculture où on me demandait de mettre en forme les écrits de mes collègues. Le vendredi Madeleine nous demanda d’écrire un papier à partir d’un dossier qui relatait la remise par la douane à son ministre d’importantes saisies de drogues. L’homme s’appelait Michel Charasse, il était célèbre pour ses bretelles, il venait du Puy-de-Dôme. Je m’étais fendu d’une attaque qui s’interrogeait sur l’existence d’Auvergnats qui dédaigneraient l’argent. Lors de la remise des copies Madeleine Melquiond m’avait demandé : « Mais qu’allez-vous donc faire au ministère de l’Agriculture ? » La réponse je la lui ai donnée plusieurs années après. J’avais ouï dire qu’elle allait donner la même formation aux agents parisiens de mon service. Je travaillais à Toulouse, alors je lui ai écrit pour lui communiquer certaines publications dont je m’étais occupé. J’en avais profité pour l’inviter à manger en prévision d’un futur déplacement dans la capitale. Avant de la retrouver j’avais eu accès à une autre vision de la formatrice qui m’avait tant impressionné. Car Madeleine Melquiond avait profité de sa retraite pour écrire son premier bouquin Longtemps, j’ai vécu avec une bouteille. Dans ce récit que je vous invite à lire Madeleine avait raconté son addiction à l’alcool qui avait pourri sa vie. Au moment de commander elle m’avait dit que je pouvais prendre du vin car elle était guérie. Celle que j’ai découverte ce jour était une femme avec qui je partageais beaucoup de choses, notamment son positionnement politique. Nous sommes restés un temps en contact, ce qui me permettait de la consulter quand j’avais un doute dans la construction d’un papier. Cela prit fin sans que je sache vraiment pourquoi.

Sont-ils si différents de nous ?

Violette au bois des fous est officiellement un roman. Cela ne trompe personne. Violette a le même âge, le même parcours professionnel, le même cheminement politique que Madeleine. Son passage au bois des fous n’est sûrement pas imaginé. C’est sans doute pour cela que nous nous projetons aussi facilement dans sa vie et celles des internés. Sont-ils si différents de nous ? Sommes-nous sûrs de ne pas un jour les côtoyer ? Il y a certes des fous dangereux dans l’établissement. Mais comment définir cette femme qui s’y retrouve parce que son mari ne la supporte plus ? Gérard contraint de suivre une psychothérapie pour éviter la prison est-il si différent de McMurphy, le personnage principal de Vol au-dessus d’un nid de coucou ? On lui souhaite donc de ne pas finir comme le héros de Miloš Forman. Si cela peut vous rassurer le récit de Madeleine Melquiond est rarement effrayant. Elle met beaucoup de tendresse dans ses personnages. Alors n’hésitez pas à leur rendre visite. Et merci à la maison d’édition Favre d’avoir cru à ce livre. C’est tellement difficile de se faire publier. Même après le joli succès de son premier livre, Madeleine m’avait raconté combien de refus elle avait essuyé pour le suivant. Heureusement Madeleine va continuer à écrire. Pour vivre.

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