« Si je le revois je le tue ». Celui qui prononce ces mots est Alfred Nakache, un homme revenu du royaume des morts. Il parle de Jacques Cartonnet que l’on dit en fuite en Italie après sa condamnation à mort pour collaboration. Cet ex-concurrent de Nakache a été plusieurs fois arrêté par la police transalpine qui n’a jamais su le garder. Quinze ans plus tard Nakache est à Rome pour participer à meeting de natation. L’ancien recordman du monde a fini sa carrière et c’est la légende vivante que les spectateurs sont venus applaudir. En quittant les lieux Alfred Nakache tombe sur une plaque où il lit « Direttore Della piscina – Jacque Cartonnet ». Il devrait se ruer dans son bureau et lui montrer le numéro qu’on lui a tatoué sur son avant-bras. Le faire expier pour ne pas trahir la mémoire de sa femme et de sa fille. Alfred lui en veut plus qu’aux Allemands. Mais si ce n’était pas lui qui les avait dénoncés ? Alors il rentre à Toulouse. Alfred Nakache a découvert la natation à Constantine dans la piscine enclavée au fond des gorges du Rhummel. La communauté juive y est importante, 10 000 personnes avant la guerre. Ils sont avec les Berbères les plus anciens habitants des lieux. La plupart résident dans un quartier surnommé « le cul de la ville ». Chez les Nakache on parle français à la maison et arabe quand on ne veut pas être compris des petits-enfants.
Les Nazis ne l’oublieront pas
Pour progresser Alfred part à Paris en 1933. C’est une force de la nature qui se bat avec l’eau. L’homme sourit tout le temps. On l’entendrait rire sur ses photos en slip de bain. En 1936 déjà champion de France, il quitte le Racing Club de France suite à des injures antisémites. 1936 c’est aussi l’année des Jeux de Berlin dont Hitler veut faire une célébration de l’Allemagne nazie. Comme une majorité de sportifs juifs Alfred Nakache refuse le boycott. Si les autorités nazies ont exclu depuis longtemps les champions juifs, les Américains font du zèle en retirant les deux seuls coureurs israélites du 4 * 100 mètres au profit de deux Noirs dont Jesse Owens. Sélectionné Nakache finit quatrième du 4 * 200 mètres devant les Allemands. Les Nazis ne l’oublieront pas. En 1940 Alfred et sa femme Paule refusent de se faire recenser comme Juifs. Mais ils sont contraints de cesser d’exercer dans l’Éducation nationale ainsi en a décidé le régime de Vichy. Les Nakache se replient sur Toulouse et Alfred continue à s’entraîner ce qui lui permet de battre en 1941 le record du monde du 200 mètres brasse. Même soutenu par Borotra le ministre des Sports de Pétain sa situation devient difficile. En 1943 on peut lire dans Paris-Match qu’on ne trouve qu’accidentellement des Juifs dans le sport car il n’y a pas d’argent à gagner. Tout ce que vit Alfred Nakache l’amène à aider la Résistance. Cartonnet est lui aussi à Toulouse. Il parade en tant que milicien et prétend avoir assassiné des Juifs. Alfred et Paule décident de passer en Espagne, mais une fois dans les Pyrénées leur petite fille Annie risque de faire repérer leur groupe. Alors la famille rentre à Toulouse. En décembre 1943 le couple est arrêté. Les Nazis font le nécessaire pour récupérer Annie qui est cachée. Le voyage vers Auschwitz débute. En arrivant Paule et Annie partent dans la file de ceux et celles qui vont être immédiatement gazés.
Il faut se réjouir de la parution du livre de Pierre Assouline
Bouleversante cette biographie d’Alfred Nakache. Je me suis souvent demandé si son nom avait traversé l’histoire, alors qu’il fut de longues années une vedette du sport français. Il est probable que les baigneurs toulousains le connaissent puisque son patronyme a été donné à la plus grande piscine de la ville. Mais savent-ils combien invraisemblable a été son existence ? C’est pourquoi il faut se réjouir de la parution du livre de Pierre Assouline même s’il succède à deux autres bios du champion. J’ai pour ma part découvert Alfred Nakache en travaillant avec un de ses neveux. Mais même ainsi j’ai pris connaissance de pas mal de faces cachées de celui qui eut la volonté de nager dans un bassin du camp d’extermination conçu pour lutter contre les incendies. Le Nageur révèle aussi des éléments peu connus sur Auschwitz comme l’intérêt des Nazis pour le sport.
Il est d’ailleurs un temps inculpé pour complicité d’homicide involontaire
Il les a poussés à organiser des combats de boxe entre déportés juifs voire entre Juifs et Aryens. Les meilleurs pugilistes y gagnaient quelques rations supplémentaires, de quoi durer un peu plus dans l’enfer. Et s’ils n’étaient pas boxeurs, ils pratiquaient le basket, le football ou le volley. Alfred Nakache n’a pas eu cette chance, les Nazis ne s’intéressaient pas aux nageurs. Mais l’ayant reconnu ils avaient eu le plaisir sadique de l’envoyer chercher avec ses dents les objets qu’ils lançaient au fond du bassin. Pour se prouver qu’il pouvait encore un peu maîtriser sa vie, Nakache retourna nager avec un autre détenu les dimanches consacrés au repos à Auschwitz. De retour en France Alfred Nakache met longtemps à se reconstruire. La période est extrêmement complexe pour ceux qui comme lui ont survécu. Il est d’ailleurs un temps inculpé pour complicité d’homicide involontaire. Parce qu’il aurait sauvé sa peau au détriment d’autres déportés. Grâce à son ancien entraîneur et à sa famille il se remet progressivement à l’eau, et en 1946 il redevient deux fois champion de France en individuel et par équipe. Il avait pourtant perdu « vingt-cinq kilogrammes de bons muscles de nageur en Pologne ». Celui qui en était arrivé à douter de sa religion en demandant « Mais il était où votre Dieu quand nous pourrissions à Auschwitz » allait participer à nouveau aux Jeux olympiques. À Londres en 1946. Pas de médaille mais il fut un des rares à y retourner après avoir été à Berlin. Le seul à avoir été déporté.
Qu’en dit Bibliosurf ?
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