Surbooké

Le blog de Laurent Bisault

1886 – L’affaire Jules Watrin, Pascal Dessaint, Éditions Rivages

Jan 15, 2024 #Rivages

Ce n’est pas un roman noir malgré le pedigree de Pascal Dessaint qui en a une tripotée au compteur. C’est un roman social, une recherche digne de l’historien qu’est aussi Dessaint sur un événement qui a marqué la vie de Decazeville cité minière et sidérurgique de l’Aveyron. C’est le récit d’une révolte ouvrière à l’image de celles qui se sont déroulées dans le Nord et qui avaient inspiré Germinal à Émile Zola. C’est à coup sûr une histoire qui n’a pas disparu de la mémoire collective du nord de l’Aveyron tant elle a eu de l’importance à la fin du XIX° siècle localement et jusqu’au Parlement français. C’est pour cela qu’il faut la connaître si on souhaite comprendre quelque chose à ce territoire. Car l’histoire est prégnante, elle façonne les comportements actuels, elle ne s’efface pas des mémoires, à Decazeville comme à Nîmes et dans les Cévennes (ici), au contraire des paysages qui comme ceux des mines de l’Aveyron se sont profondément transformés depuis que la mine n’avale plus les forêts et les bois.

On l’appelle « Le Prussien »

Pascal Dessaint organise son récit en trois temps : le meurtre, la grève et le procès. Le meurtre c’est celui de Jules Watrin, sous-directeur des Houillères & Fonderies de l’Aveyron. On l’appelle « Le Prussien » parce qu’il est né à Metz et qu’en 1886 cette cité lorraine n’appartient plus à la France. L’homme a été formé à l’École des mines de Saint-Étienne d’où il est sorti major avant de travailler un peu partout en France dans des mines et des fonderies. On le dit rigoureux, respectueux de l’ordre, il aurait même de bons rapports avec les ouvriers. Le meurtre intervient le 26 janvier 1886 après que certains mineurs se sont mis en grève. Ils l’ont décidé en découvrant leur salaire du mois précédent. Le lendemain ils partent à 200 en sabots à Decazeville pour rencontrer Watrin et exiger de meilleures rémunérations, une baisse du temps de travail, des garanties pour l’emploi des syndicalistes, et le départ du sous-directeur. Quand ils le voient ils sont désormais 2 000, mais Watrin s’échappe et se réfugie à l’étage d’une bâtisse où des hommes parviennent à entrer puis à le blesser. La colère des assaillants n’est pas pour autant calmée, ils le jettent par la fenêtre puis le piétinent jusqu’à ce qu’il meurt.

Mille cinq cents mineurs face à deux mille soldats

Le lendemain du meurtre l’armée est dans la place, le calme revient, les mineurs reprennent le travail et plusieurs hommes sont arrêtés. La Compagnie promet quelques améliorations au statut des mineurs mais ne tient pas ses engagements reprenant d’une main ce qu’elle donne de l’autre. Commence alors une grève longue et dure. Mille cinq cents mineurs face à deux mille soldats qu’on a été chercher jusqu’à Mende. Les grévistes demandent entre autres un salaire minimum et la mise en accusation des directeurs et administrateurs de la Compagnie. Certes l’ingénieur Watrin a été tué mais ce sont eux les assassins, eux qui affament les mineurs et leur famille. Le mouvement dure 108 jours jusqu’au 14 juin 1886. On plastique les jardins des « traîtres » qui veulent reprendre le travail. Enfin la Compagnie cède, elle accepte les revendications. Place au procès où comparaissent les huit personnes accusées d’avoir tué Watrin.

Étienne Lantier le personnage de Germinal c’est lui

Le récit de Pascal Dessaint détaille avec minutie les six mois du conflit en s’appuyant sur de nombreuses archives de presse. Le cri du peuple fondé par Jules Vallès, et L’intransigeant qui ne s’est pas encore rallié au Général Boulanger, ne traitent pas les évènements comme Le Gaulois journal réactionnaire. Les élus de la République interviennent dans la foulée d’Émile Basly. Cet ancien mineur, dix-huit ans au fond du côté de Valenciennes, syndicaliste renvoyé par la Compagnie des mines, a été élu député de Paris. Étienne Lantier le personnage de Germinal c’est lui. Il multiplie les voyages depuis Paris où il ferraille à l’Assemblée comme élu de l’extrême gauche aux côtés de Jules Guesde et de Clemenceau. Le Tigre n’a pas encore trahi ce qui en fera un modèle pour Manuel Valls. 1886 débute et se termine en évoquant le conflit intervenu en 2015 au sein de la société Air France. Les salariés s’en étaient pris à deux cadres représentant leur direction qui allait supprimer trois mille emplois sur deux ans. Le DRH et son adjoint avaient réussi à s’enfuir en abandonnant leur chemise. Les assaillants furent jugés. Ainsi l’histoire s’est-elle répétée à un siècle d’intervalle. Aux mêmes causes les mêmes effets. La lutte des classes n’est pas morte.

Qu’en pense Bibliosurf ?
https://www.bibliosurf.com/1886-L-affaire-Jules-Watrin.html

Abonnez-vous pour être averti des nouvelles chroniques !

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *