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Le blog de Laurent Bisault

Une brève histoire de l’économie, Daniel Cohen, Éditions Albin Michel

Mar 28, 2024 #Albin Michel

C’est le dernier livre de Daniel Cohen paru après son décès intervenu le 20 août 2023. L’ouvrage était néanmoins terminé quand il l’avait remis à son éditeur. Il est court, tant par le nombre de ses pages que par la brièveté des neuf chapitres car Daniel Cohen avait voulu le rendre accessible au plus grand nombre. Ce qui correspond bien à ce qu’il a fait pendant sa vie professionnelle : clarifier son discours, désacraliser sa discipline, et se montrer pédagogue. Ce dernier point semble avoir été une constance chez Cohen qui a créé avec Thomas Piketty l’École d’économie de Paris, et qui était très apprécié de ses étudiants. Cela donne un ouvrage qui se lit avec plaisir, un récit historique qui m’aurait fait bondir de joie si on me l’avait proposé quand je fréquentais l’école de l’Insee (ici). Comme à l’impossible nul n’est tenu, certains thèmes sont traités si brièvement qu’on pourrait presque s’en passer. Mais il faut prendre Une brève histoire de l’économie pour ce qu’elle est : une présentation qui vous donnera peut-être l’envie d’en savoir davantage. Des passages feront réagir comme la création de l’État-providence qui ne devrait pas plaire à Nicolas Da Silva (ici). Il faut enfin signaler le mérite de Daniel Cohen, tout agrégé de mathématiques qu’il fût, de ne pas nous noyer sous les équations. Qu’il en soit ici remercié même si je garde une réelle préférence pour les écrits de Bernard Maris, parce qu’avec Oncle Bernard en plus on se marrait. Je me suis donc permis quelques ajouts en souvenir de l’économiste toulousain.

Pousse-toi de là on a besoin de tes terres espèce de chasseur-cueilleur décroissant !

« Longtemps le seul problème économique de l’humanité a été celui de se nourrir ». C’est ainsi que débute Une brève histoire de l’économie. L’invention de l’agriculture de 8 000 à 9 000 ans avant J.-C. au Moyen-Orient, en Chine puis en Amérique centrale, a en partie permis d’y répondre. Mais aux dépens des chasseurs-cueilleurs qui furent priés d’aller voir ailleurs, avec toute la gentillesse dont est aujourd’hui capable la FNSEA. Pousse-toi de là on a besoin de tes terres espèce de chasseur-cueilleur décroissant ! Problème, sous le prétexte que les hommes et les femmes pouvaient désormais se nourrir, ils et elles étaient devenus de plus en plus nombreux. Commença alors une course sans fin entre les ressources et les besoins alimentaires dont un bookmaker anglais, Thomas Malthus prédit qu’elle finirait mal. Parce que disait-il c’est la taille des populations qui s’accroît et non leur niveau de vie. Malthus qui était également un curé anglican aussi sympa que ne l’est aujourd’hui Christine Boutin, vantait les mérites de la guerre et de l’absence d’hygiène comme moyen collectif de s’en sortir. Heureusement l’accroissement démographique s’est calmé en Europe à partir de la fin du XVIIIe siècle, puis après la Seconde Guerre mondiale dans le reste du monde. Explication, après 1945 les femmes des pays sous-développés se seraient identifiées au modèle occidental aperçu à la télévision. Souhaitons alors qu’elles n’aient jamais accès aux émissions d’Hanouna.

Alors Malthus tu l’avais pas vu venir celle-là !

Seconde étape essentielle dans l’histoire de l’humanité : la révolution industrielle anglaise du milieu du XVIIIe siècle. Elle s’est s’appuyée sur une série d’innovations comme la machine à vapeur et la « navette volante » de l’industrie textile. Comme aucun autre pays ne parvenait à se développer aussi vite, et surtout pas la France, la population anglaise a doublé en un siècle et demi. Mais comment les nourrir puisque les nouvelles technologies agricoles se faisaient attendre ? Avec des importations alimentaires massives payées par des exportations industrielles. Pour ce faire les Anglais ont peuplé l’Amérique de bras et de pieds africains pour se fournir en sucre et en coton. Alors Malthus tu l’avais pas vu venir celle-là ! C’est au milieu du XVIIIe siècle qu’Adam Smith commença à penser l’économie comme quelque chose régi par le marché. Autre apport du philosophe écossais, il faisait du travail la source de la valeur aux dépens des terres, de l’argent et de l’or comme on le disait avant lui. Grâce au marché les différents participants aux échanges trouvaient leur intérêt notamment via la spécialisation du travail. L’œuvre de Smith est souvent réduite par les libéraux à la « main invisible » qui exclurait la puissance publique dans toute recherche de l’efficacité. Mais rassurez-vous de nombreux économistes affirment que Smith ne l’a jamais pensé ainsi. Un siècle plus tard Marx réfuta cette idée du marché porteur de tous les intérêts. La société avait changé, il avait devant lui une classe ouvrière paupérisée. Marx, philosophe comme l’était Smith, mettait en avant la différence entre le travail et la force de travail. La force c’est ce que payait le patron pour que l’ouvrier puisse survivre. La différence entre le travail et la force de travail appelée plus-value ou sur-travail, était empochée par l’employeur. Marx n’évoquait pas comme Malthus les ressources agricoles pour expliquer la misère ouvrière. C’est la bourgeoisie qui la créait pour alimenter « l’armée de réserve » dont elle avait besoin pour nourrir ses profits.

Il fallut attendre les travaux de Keynes pour comprendre ce nouvel objet : le déséquilibre macroéconomique

Le 24 octobre 1929 fut une date noire dans l’histoire du capitalisme : celle du premier krach de la Bourse new-yorkaise. Des investisseurs se jetaient des gratte-ciel avec beaucoup moins de réussite que Batman quelques années après. La récession économique était dantesque avec une baisse de moitié de la production industrielle en trois ans et des reculs dramatiques dans les secteurs du bâtiment et de l’agriculture. Les retraits des dépôts bancaires entraînèrent des faillites en cascade des établissements financiers sans que les autorités monétaires ne réagissent. La crise se répandit dans les autres pays et provoqua une formidable rétractation du commerce mondial. Il fallut attendre les travaux de Keynes pour disposer d’un cadre théorique pour penser ce nouvel objet : le déséquilibre macroéconomique. Jusque-là les autorités, en dignes successeurs des médecins de Molière, avaient aggravé la situation en préservant les équilibres des finances publiques et en conservant la convertibilité or de leur monnaie. Les rares pays qui y avaient dérogé avaient immédiatement attiré des capitaux étrangers. En bon économiste britannique Keynes remit en cause la loi de Say, un des rares théoriciens français passé à la postérité, dont « la loi » voulait que l’offre crée toujours sa propre demande. Dans tes rêves Jean-Baptiste aurait pu lui répondre John Maynard qui avait devant ses yeux un désastre. Si je n’écoule plus ma production, je licencie et mes ouvriers ne vont plus rien acheter. Pour y remédier il faut impérativement dépenser.

Sommes-nous au total plus heureux en devenant au cours du temps plus riches ?

Trente années après la Seconde Guerre mondiale les brutales hausses de prix du pétrole ont mis à mal le message keynésien. La stagflation, combinaison du chômage et de l’inflation, résistait aux relances économiques car elle ne provenait pas d’une absence de demande mais d’un manque de profitabilité d’activités minées par le coût de l’or noir. Place désormais à la révolution conservatrice incarnée par Milton Friedman qui allait entre autres déréguler les marchés financiers. Plus de contrôles, allez les gars on en profite en trichant sur la solvabilité des clients. C’est peu dire que la crise des subprimes de 2007 coûta cher à ceux qui n’y étaient pour rien. La banque Lehman coula et le séisme se propagea à l’économie réelle. Le XXIe siècle c’est aujourd’hui la primauté annoncée de la Chine qui devrait devenir à terme le pays le plus riche du monde. C’est l’émergence de l’économie numérique avec ses gains de productivité et ses asservissements. C’est surtout l’époque de la prise de conscience du réchauffement climatique. Suffisante pour agir tant qu’il en est encore temps ? Rien n’est moins sûr car les exemples d’effondrements dans l’histoire ne manquent pas comme pour l’île de Pâques au XVe siècle. Sommes-nous au total plus heureux en devenant au cours du temps plus riches ? Les mesures du bonheur montrent le contraire probablement parce que les satisfactions apportées par les nouveaux biens ne durent pas. Une des manières de les prolonger consiste à se comparer à ceux qui possèdent moins que nous. Karl le grand barbu l’avait lui-même expliqué. Si j’étais Premier ministre je m’en inspirerais. Plutôt que d’augmenter les salaires je m’attaquerais aux revenus des chômeurs. Tant que ça marche pourquoi s’en priver ?

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