Surbooké

Le blog de Laurent Bisault

Les années 90, Blood at Roots du 26 avril 2024

Juin 9, 2024

Chronique écrite pour l’émission Blood at Roots de Radio Mon Païs, 90.1 à Toulouse, du 26 avril 2024 de 19 à 21 heures 00
Bonjour à tous. Je suis très content de vous retrouver surtout qu’aujourd’hui c’est pour traiter d’un sujet qui me tient particulièrement à cœur : les années 90. Pourquoi me direz-vous ? Parce que cette période symbolise définitivement pour moi les années bonheur. Vous allez voir c’est simple à comprendre. Théoriquement les années 90 débutent au premier janvier 1990 et se terminent le 31 décembre 1999. Mais si on se limite aux événements qui ont vraiment compté il est mieux de les faire commencer le 9 novembre 1989, jour de la chute du mur de Berlin. Un moment que beaucoup avaient davantage rêvé qu’imaginé et qui a entraîné la disparition du bloc soviétique. Quant à la fin de la période, aucun doute sur la question, elle a eu lieu le 12 juillet 1998 au Stade de France, quand, et un et deux et trois zéro, on a mis la pâtée aux bouffeurs de haricots rouges. Qui c’est les plus forts ? Évidement c’est les Bleus ! Pour confirmer la béatitude qui m’assaillit quand j’évoque les nineties, je me dois de dire que je ne vois que des bonnes nouvelles au cours de ces dix années. Parce que quand même quand on se retourne qu’aperçoit-on ? Une foultitude de joyeusetés : les guerres de Yougoslavie (sans doute 300 000 morts), celles de Tchétchénie, le génocide des Tutsis (800 000 personnes assassinées), la seconde guerre du Congo (plusieurs millions de décès). Il y en a assez où je vous en rajoute un petit peu ? Alors pour la route je cite rapidement la guerre du Golfe et la montée de l’islamisme avec tout ce qui en a découlé. Je vais donc vous raconter tout cela au prisme de trois livres présentés sur un excellent blog que je me dois de vous conseiller. Il s’appelle Surbooké et vous y accéderez facilement via votre moteur de recherche préféré ou directement à l’adresse : https://surbooke.fr/wordpress/.


Le Tigre, John Vaillant, Éditions Noir sur Blanc

On débute donc par la fin du monde communiste. Pour l’illustrer j’avais plusieurs bouquins à ma disposition sur mon blog. J’aurais par exemple pu vous amener L’enclave de Benoît Vitkine qui traite exactement du sujet, à savoir de la première année post-soviétique dans l’enclave russe de Kaliningrad. Mais j’ai mieux, beaucoup mieux. Je vous ai amené Le Tigre de John Vaillant un auteur américain. Il y a tout dans ce livre. Le Tigre est d’abord un fabuleux roman d’aventures qui se déroule aux confins de la Russie. Quasiment à la frontière de la Chine et de la Corée du Nord, un peu au-dessus de Vladivostok. Dans le pays de Dersou Ouzala, le personnage de Kurosawa. Nous sommes dans le Primorié, une région dont le climat terrifiant voit l’été tropical succéder à un hiver glacial. C’est d’ailleurs pour cela que le génial Staline y avait réservé à proximité un territoire pour les Juifs soviétiques : le Birobijan. Dans cet Extrême-Orient russe, un tigre de l’Amour a dévoré un chasseur. L’évènement est d’importance car l’usage veut que l’on respecte l’animal pour en être épargné. C’est du moins ce que croient les peuples autochtones. Le tigre local est un monstre pouvant dépasser les trois cents kilos. Un monstre que rien n’effraie, puisqu’il peut dompter des ours deux fois plus lourds que lui. Un monstre qui a appris à vivre en solitaire en régnant sur son territoire. Le tigre ne s’attaquerait à l’homme que si on lui nuit, par exemple en lui volant son gibier. Malheur alors à celui qui sera pourchassé sans fin par le fauve. C’est ce qui semble s’être déroulé pendant cet hiver 1997 quand Vladimir Markov est retrouvé dévoré, démembré, en pièces détachées dans la taïga. Pire encore, le tigre ne semble pas s’être caché avant d’attaquer. Il a attendu sa proie devant la cabane du chasseur après l’avoir mise en pièces, déchirant le matelas et explosant la vaisselle. Il l’a d’ailleurs préalablement traquée jusque dans un camp de bûcherons. Markov connaissait pourtant les risques à transgresser les règles non-écrites du coin. Mais quand plus rien ne fonctionne dans un État en décomposition, quand les emplois disparaissent, quand l’exploitation forestière s’intensifie, sans parler des Chinois prêts à acheter des tigres morts en espérant dérober leur virilité, alors prend fin le fragile équilibre du territoire. Les villageois retournent dans la forêt pour piéger la zibeline ou tuer des sangliers. Au risque de menacer la survie des derniers tigres. La traque du fauve commence. Elle est d’autant plus nécessaire que la population du Primorié n’ose plus sortir quand elle apprend que le tigre de Markov a récidivé. Ce livre est le portrait d’une société qui se délite, obligée de courir à sa perte pour survivre. Et une magnifique description de la vie animale. Ce bouquin ne le loupez pas. Il est d’autant plus génial que ce n’est pas un roman, mais le récit d’événements réels.

La valse des officiers interprétée en russe par Serge Gainsbourg

Le dernier penalty, Gigi Riva, Éditions Le Seuil

Place désormais aux dernières heures de la Yougoslavie juste avant que cette fédération n’implose. Un sujet que je vais aborder en vous parlant foot, parce que le foot est définitivement quelque chose que l’on apprécie dans Blood at Roots. Surtout Pierre-Julien qui porte toujours son maillot du LOSC quand il s’approche du micro. Je me téléporte donc en quart de finale de la Coupe du monde de football de 1990, au moment où le capitaine de l’équipe yougoslave s’apprête à tirer un penalty. Nous sommes le 30 juin à Florence et son équipe est réduite à dix depuis quatre-vingt-dix minutes face à l’Argentine de Maradona. Fin des prolongations et place à l’ultime tir yougoslave, celui de Faruk Hadžibegić qui est repoussé par Goycochea le gardien argentin. Que se serait-il passé s’il l’avait réussi ? Le sort de son pays en aurait-il été changé ? Aurait-il survécu à la déflagration annoncée qui allait faire éclater la création de Josip Broz Tito ? Telle est la question que se pose Gigi Riva dans Le dernier penalty. Il a toute légitimité pour le faire en tant qu’ancien correspondant de guerre dans les Balkans et comme rédacteur en chef de l’hebdomadaire italien L’Espresso. La réponse à la question nous la connaissons. Rien n’aurait pu empêcher la disparition de la Yougoslavie dont le délitement avait déjà débuté. La sécession de la Slovénie était imminente ainsi que la guerre civile qui ferait 300 000 morts et déplacerait quatre millions de personnes. La fédération yougoslave imposée par Tito était trop artificielle. Ce n’est pas l’entraîneur Ivan Osim qui aurait dit le contraire tant il était harcelé dans sa composition d’équipe pour respecter les équilibres entre les représentants des six républiques : Bosnie-Herzégovine, Croatie, Serbie, Macédoine, Monténégro et Slovénie. Une tâche d’autant plus difficile que les joueurs avaient souvent plusieurs origine comme par exemple Zlatko Vujović qui était Bosnien d’origine croate. Gigi Riva nous montre combien les oppositions ethniques affectaient le football. Les prémices du désastre étaient en effet apparues le 13 mai 1990 à l’occasion d’un match du championnat national entre le Dinamo de Zagreb croate et le Partizan de Belgrade serbe. Ce jour-là, les débordements des supporteurs avaient provoqué l’intervention des blindés antiémeutes. Tout l’environnement s’y prêtait puisque Radovan Karadžić avait déjà pris pied comme psychologue dans un club du championnat. Lui qui allait devenir le chef des Serbes de Bosnie avant d’être condamné à 40 années de prison pour génocide par le Tribunal pénal international (TPI). Le modeste Bosnien Faruk Hadžibegić n’avait donc rien à se reprocher. À l’impossible nul n’était tenu. Ni lui ni aucun autre n’auraient pu faire perdurer cette sélection au-delà de cette ultime coupe du monde du football yougoslave.

L’équipe yougoslave : « Ivković, Croate ; Spasić, Serbe ; Baljić, Bosniaque ; Katanec, Slovène ; Vulić, Croate ; Stojković, Serbe ; Jozić, Bosniaque ; Sušić, Bosniaque ; Hadžibegić, Bosniaque ; Savićević, Monténégrin ; Vujović, Croate. »
Ederlezi attribuée à Goran Bregović un chanteur bosnien qui symbolise à lui seul le bordel ethnique qu’était la Yougoslavie

La trilogie Benlazar, Frédéric Paulin, La Trilogie Benlazar, Frédéric Paulin, Éditions Agullo

Il faudra un jour savoir pourquoi les auteurs de romans noirs sont quasiment les seuls à traiter de sujets politiques. Frédéric Paulin est de ceux-là, et il revendique en tant qu’écrivain de polars le droit d’écrire sur d’autres thèmes que les psychopathes. Avec La guerre est une ruse, Prémices de la chute et La fabrique de la terreur il a consacré une trilogie exceptionnelle à la décennie noire en Algérie, celle des années 90. Paulin nous propose un récit haletant de cette période si mal connue et qui a pourtant fait une centaine de milliers de morts ainsi qu’un million de déplacés pour la seule Algérie. Ces massacres se sont ensuite propagés en France avant de se répandre dans une grande partie du monde. C’est tout cela que nous raconte Paulin en commençant par la guerre civile algérienne qu’il analyse comme une lutte entre les généraux et les groupes islamiques, leurs créatures qui leur ont échappé. Chez Paulin inutile de chercher une dichotomie entre les bons et les méchants. Parce que des généraux algériens prêts à tout pour garder le pouvoir et des barbus armés, on peine à dire quels sont les pires. Tout au long de ses trois tomes Frédéric Paulin suit un personnage qui s’appelle Tedj Benlazar, un lieutenant français qui travaille pour la DGSE. Il est en mission à Blida quand il comprend que le pouvoir algérien a créé des camps de concentration dans le sud du pays pour y enfermer et y tuer les Islamistes. Dans le second volet de la trilogie Paulin délaisse l’Algérie pour nous raconter l’apparition d’Al-Qaïda. On assiste à l’attaque des tours du World Trade Center. On voyage en Bosnie, au Pakistan, en Afghanistan à la recherche de Oussama ben Laden. On constate la création des premiers commandos terroristes sur le sol français. L’ultime tome est consacré aux attentats de Merah à Toulouse en 2011, et à ceux de Charlie Hebdo et du Bataclan. Certes Ben Laden a été abattu et l’Amérique s’en est réjouie mais rien n’a été réglé.

Ya Rayah de Rachid Taha extraite de l’album éponyme paru en 1993

L’enregistrement de la chronique

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