On la présente comme une des grandes perdantes des transformations du capitalisme contemporain. Saint-Étienne la ville industrielle, ouvrière, la cité du foot, serait devenue un lieu de pauvreté, de vacance commerciale, sur lequel se déversent les discours misérabilistes. La capitale de la Loire est pourtant plus contrastée qu’on pourrait le croire. Son histoire est celle d’une ville qui fut longtemps illégitime face au voisin lyonnais. Et même face à Montbrison qui accueillit la préfecture du département jusqu’en 1855, ainsi que la cour d’assises jusqu’en 1968. Saint-Étienne n’a existé comme ville qui compte qu’à partir du XIXe siècle. La fabrication d’armes de la Manufacture royale y avait pourtant débuté un siècle plus tôt. Mais c’est avec l’exploitation minière que la ville a pris son envol. Il fut progressif car les patrons de l’industrie du ruban s’opposèrent à ces nouveaux capitalistes susceptibles de les concurrencer dans l’accaparement des profits et l’embauche de la main-d’œuvre. Sainté devint la ville noire, celle des fumées, des rougeoiements nocturnes des forges. Elle fut aussi rouge par ses conflits sociaux et la combativité ouvrière. Pourtant même à son apogée les mineurs étaient moins nombreux que les autres ouvriers. Ils étaient 16 000 en 1935 alors que 50 000 personnes travaillaient dans la métallurgie et d’autres encore dans l’industrie du cycle, l’imprimerie, la chocolaterie. Les mines stéphanoises ont été nationalisées en 1946, ce qui n’a pas empêché la fermeture progressive des puits. L’extraction minière a pris fin en 1983, soit au moment où Creusot-Loire le leader local de la sidérurgie a cessé son activité. Concomitamment les industries du textile et du cycle ont elles aussi décliné. Saint-Étienne est aujourd’hui juridiquement une métropole, dont la population s’est stabilisée depuis une dizaine d’années, tout en se transformant avec le départ de nombreuses classes moyennes et supérieures vers la périphérie. Ce qui pour certains a dévalorisé la cité, notamment avec la « spécialisation ethnique » de certains quartiers.
La ségrégation des quartiers résulte des migrations organisées par le patronat local
La population stéphanoise est aujourd’hui davantage ouvrière, moins diplômée, et plus âgée, que celles des métropoles de taille comparable. Ce qui se traduit en 2015 par un taux de pauvreté de 24 % intra-muros, et de 16 % en périphérie stéphanoise. Les inégalités de revenus sont moindres à Saint-Étienne qu’à Lyon où Grenoble, car la classe des très riches n’y a jamais émergé. Ce qui n’empêche pas l’existence de fortes différences entre les quartiers. Les plus aisés habitent entre autres sur le cours Fauriel et La Vivaraize, alors que les plus pauvres ont été envoyés dans les grands ensembles. La ségrégation des quartiers résulte des mouvements migratoires organisés par le patronat local, qui a attiré des immigrés dès l’entre-deux-guerres. Des Italiens, des Espagnols, des Arméniens, des Polonais, et surtout des Maghrébins après la Libération. À partir des années soixante-dix, soit après la destruction des bidonvilles, les Algériens ont été logés dans des quartiers spécifiques comme celui de Montchovet, comme cela avait été le cas précédemment pour les Italiens et les Polonais. Cette concentration ethnique est encore visible pour les Portugais dans l’ancienne commune de Terrenoire.
Le paradoxe d’une ville ouvrière qui vote à droite
Les Stéphanois ont été en 1888 parmi les premiers à élire une municipalité socialiste. C’est aussi à Sainté que la fédération des Bourses du travail a été créée. En 1977 l’ancien mineur communiste Joseph Sanguedolce a été élu maire. La ville a pourtant été dirigée à de rares exceptions pendant ces quatre-vingt-dix années par des hommes de centre-droit. Pour expliquer ce paradoxe d’une ville ouvrière qui vote à droite, il faut évoquer les attaches rurales de nombreux travailleurs avec le Vivarais et le Velay, deux territoires tournés vers le catholicisme. Le vote ouvrier stéphanois s’est aussi partagé entre un vote communiste au sein des grandes entreprises, et un vote de culture républicaine ou radicale dans les petits établissements. Rappelons également que les populations les plus défavorisées, notamment issues de l’immigration, participent peu aux scrutins. Signalons aussi que les électeurs stéphanois n’ont jamais opté massivement pour le Front ou le Rassemblement national.
Il a renouvelé l’exercice en compagnie du groupe Terrenoire
Il y a bien longtemps que les joueurs de foot ne sont plus les personnages emblématiques de la capitale du Forez. Dominique Rocheteau s’en est allé des terrains. Et le génial Rachid Mekhloufi, qui quitta le club en 1958 pour rejoindre l’équipe du FLN, est oublié. Bernard Lavilliers lui, poursuit son chemin entamé en 1975 avec l’album Le Stéphanois. Dans sa chanson « Saint-Étienne » il évoquait l’histoire industrielle de sa ville, le charbon, le métal, les forges, ainsi que leurs disparitions. En 2021 il a renouvelé l’exercice en compagnie du groupe Terrenoire en chantant « Je tiens d’elle » : « Je tiens d’elle, Ma Saint-Étienne, Plus brave que belle, Plus frère que fière, Plus fière que celles, Qu’ont pas souffert ». Saint-Étienne est également le nom d’un groupe anglais formé à Londres en l’honneur de l’équipe de foot de la ville. Le groupe Mickey 3D originaire de Montbrison rendit lui aussi hommage à l’ASSE, l’association sportive de Saint-Étienne, dans sa chanson consacrée à Johnny Rep. Pour découvrir la littérature stéphanoise on lira avec profit la saga des Sauvages de Sabri Louatah.
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Une analyse complète de la sociologie de cette ville. Ce qui me surprend le plus c’est un vote à droite mais pas RN au regard de sa composition sociale. Tu aurais pu dire un mot du maire actuel, un passionné de vidéo.
Rendez-vous en janvier après la parution des « Comploteurs », le livre d’Antton Rouget et Ramsès Kefi consacré à Perdriau. Sûr que j’aurai l’occasion de reparler de la sociologie électorale de Saint-Étienne.