Surbooké

Le blog de Laurent Bisault

Sous leurs pas, les années, Camille Bordenet, Éditions Robert Laffont

Déc 17, 2025 #Robert Laffont

Ça se passe à cinq kilomètres de Valfroid, un coin de l’Isère que les anciens appellent « La petite Sibérie ». Non loin du lac de Paladru qu’ils avaient traversé à pied et même à vélo en 1963. Il faut s’y débrouiller seul, sans le gaz de ville, sans les déneigeuses qui y grimpent en dernier ou même pas du tout. Jess est conductrice de car scolaire et monitrice d’auto-école. Ce matin elle démarre à 6 heures 45 sur un sol blanchi depuis la veille. Le plus dur ce n’est pas le boulot, c’est le logement où elle vit avec Mick. Même pas une passoire thermique, un véritable abribus. On dirait qu’il y manque un mur tellement on se les pèle. Ça n’est pas raisonnable avec la petite Lyana qui tousse tout le temps. L’unique solution serait de s’installer là-haut au Grand-Mollard, dans le vieux corps de ferme de Simone. Elle leur a proposé d’occuper l’étage, mais Mick qui est artisan ne veut pas, trop peur de passer pour un cassos. Simone c’est la grand-mère de Constance, l’ancienne amie de Jess partie à Paris à peine son bac en poche. Constance passe désormais plusieurs fois par semaine à la télé. Son Instagram est certifié. Son avis compte. Elle s’est fait sa place en tant que faiseuse d’opinion. Mais avec le temps, son maquillage craque. Et il ne s’agit pas seulement de celui qu’elle applique sur le visage. C’est surtout sa psyché qui s’effrite au point que Constance tourne aux antidépresseurs. Elle en a assez du personnage qu’on lui a attribué à l’antenne, celui de Mme « Vrais gens », Mme « Laissés pour-Compte ». Certes elle est au courant qu’à Valfroid le guichet de la gare a fermé, après la maternité, les urgences de l’hôpital, des bureaux de poste, et des classes. Mais Constance, qui est la fille d’une prof d’histoire et d’un directeur de MJC, sait aussi que le monde rural est divers. Et puis Simone décède, alors Jess appelle Constance.

Le troisième personnage du roman, c’est la communauté qui vit à Valfroid

Premier roman, première réussite. Mais cette histoire d’amitié entre deux trentenaires qui se sont perdues de vue depuis dix-sept ans, tient beaucoup du récit. Car Camille Bordenet a grandi dans une campagne iséroise, avant d’obliquer à Grenoble pour ses études. Le livre pourrait aussi être un reportage, puisque l’autrice s’est ensuite installée à Paris pour créer au sein du journal Le Monde une rubrique consacrée aux ruralités. Sous leurs pas, les années c’est à la fois l’histoire de Jess et Camille, et celle d’un territoire pas des plus défavorisés, mais où l’on peine quand même à vivre. La plus belle des deux, celle que les hommes regardent avec appétit, c’est Jess. Parce que Constance revient de loin, elle fut longtemps préoccupée par l’acné, et elle ne sait toujours pas trop quoi faire de son corps quand elle se déplace. Aucune n’a la vie facile. Jess cherche un logement pour écrire son histoire familiale. Or malgré son travail à plein temps et celui de son compagnon, elle se fait souffler toutes les maisons disponibles par des Grenoblois, des Lyonnais ou des Parisiens qui en font leur résidence secondaire. Chez Constance pas de difficultés pécuniaires, mais une impossibilité à construire autre chose que son métier. Le troisième personnage du roman, c’est la communauté qui vit à Valfroid. Ici tout le monde se plaint du remplacement des boulangeries par des distributeurs de baguettes. De la disparition des services publics auxquels ont succédé des camping-cars France Services. De ceux de là haut qui les ignorent. Mais là s’arrête l’unanimité. Certains développent un racisme à peine masqué et révèrent un passé idéalisé. Et d’autres débordent d’énergie pour faire évoluer leur cadre de vie.

Qu’en dit Bibliosurf ?
https://www.bibliosurf.com/?page=q&recherche=Bordenet

Vous pourriez aussi apprécier

Abonnez-vous pour être averti des nouvelles chroniques !

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *