Ça se lit comme une série noire. Comme ces excellents polars historiques que concoctaient Didier Daeninckx ou Frédéric Fajardie dans les années quatre-vingt. Dans Le Petit Soviet Éric Decouty, journaliste de profession, part à la recherche d’un secret de famille qui remonte à la Résistance. Une période où l’héroïsme s’est parfois confondu avec des actes que l’on a préféré cacher sous le manteau. En filigrane, sans jamais citer son nom, Decouty nous raconte un peu la vie de Georges Guingouin, celui qui avait été surnommé « Le préfet du Maquis » tant il avait d’importance dans la Résistance limousine. Communiste au début de la guerre, Guingouin s’est souvent opposé aux consignes de son parti. Ce sont les victoires des résistants qu’il dirigeait qui ont amené les Allemands à surnommer le Limousin « La petite Russie ». Guingouin est élu en 1945 maire de Limoges, ce qui ne l’empêche pas d’être accusé d’exactions contre des civils pendant la guerre et d’avoir dérobé de l’argent. Déjà mauvaises pendant la guerre, les relations entre Guingouin et le PC se détériorent. Il est attaqué par les dirigeants du parti et exclu dans les années cinquante. En 1954 Guingouin est jugé et condamné suite aux accusations proférées à la Libération. On annonce son suicide en prison. Il avait en fait été battu à mort mais il en réchappe . Parce qu’il est originaire de Saint-Junien, à proximité de Limoges et d’Oradour-sur-Glane, Éric Decouty nous fait revivre avec passion cette période. Il crée pour cela un personnage amené à découvrir les faits et méfaits de son grand-père dans des lieux jamais nommés, le Village, la Ville, la Sous-préfecture.
Il y a cette chape de plomb qui semble empêcher les gens de parler
Joseph Kruger est le fils de Maurice Kruger et le petit-fils de Paul Kruger. À croire que les mères ne comptent pas dans son pays. Joseph a quitté le village en 1987 avec ses parents. Il avait douze ans et son grand-père, une figure du coin, venait de mourir. Il était communiste, les prénoms de ses descendants en attestent. Maurice renvoie à Thorez et Joseph au petit père des peuples. Après le décès du grand-père, la famille est en quête d’un avenir meilleur, et ça commence pour Joseph par des études à la Ville. Trente années après Joseph Kruger revient au Village à la demande d’un banquier, pour régler la succession de ses parents qui viennent de décéder. Joseph est désormais marié avec Janet une architecte américaine de Chicago avec qui il a eu deux enfants. Le Village a bien changé, ses trois cafés, son restaurant et les élèves de l’école appartiennent au passé. Le séjour de Joseph s’annonce court. Mais il multiplie les rencontres inattendues. Le fils de l’ancien maire, désormais maire lui-même, qui habite le château du Village. Une ancienne amie de sa mère, et le banquier qui lui révèle de bien curieux secrets. Il y a aussi cette chape de plomb qui semble empêcher les gens de parler, même si certains disent que son grand-père se serait suicidé. Le séjour se prolonge, Joseph parcourt sa région d’enfance, boit des bières au bistrot, remue ce que certains voudraient oublier. C’est à croire que ses parents lui ont laissé cette tâche. Mais à trop fouiller l’histoire on y découvre parfois ce qu’on aurait préféré éviter.