Surbooké

Le blog de Laurent Bisault

404, Sabri Louatah, Éditions Flammarion

Déc 16, 2021 #Flammarion

Dans une conversation privée Sabri Louatah m’avait dit qu’il était sûr que 404 allait m’énerver et que c’était un peu sa raison d’être. Son roman est dérangeant, visionnaire, prenant, il fait réfléchir, il peut faire peur, mais il n’est en rien énervant. Il faut le lire parce qu’il n’a pas d’équivalent dans la littérature française contemporaine, par sa qualité d’écriture qui vous visse à l’histoire comme le font les meilleures séries télévisuelles. Et aussi parce qu’avec lui, Sabri Louatah tente d’exorciser le fantasme d’un pays multiculturel qui se voit encore ethniquement pur. Après viendra le temps de se demander, comme après la lecture des Sauvages, pourquoi Louatah n’est pas plus connu dans le monde littéraire. Pourquoi n’est-il pas plus souvent cité parmi les écrivains qui comptent. Pourtant 404 a été remarquablement accueilli à sa sortie en 2020. Il a bénéficié d’une très bonne couverture médiatique, jusqu’à être présenté dans Par Jupiter par Juliette Arnaud qui en bonne stéphanoise ne pouvait que dire du bien de son pays. Mais qui n’avait pas besoin de cela pour le faire. En guise de réponse à la question sur sa célébrité on peut juste dire que Louatah écrit peu, deux romans à ce jour, même si Les Sauvages comptent quatre tomes.

Sabri Louatah se voulait écrivain, ce qu’il est devenu

La raison d’être du roman est le sentiment de Sabri Louatah de ne jamais être totalement accepté en France. Ce que raconte une femme du roman en disant « C’est la quatrième génération, il va falloir combien de générations pour que vous nous foutiez la paix ». Ce sentiment d’exclusion Louatah explique l’avoir ressenti après avoir participé à la marche de soutien à Charlie hebdo le 11 janvier 2015. Ce fut certes un moment d’union nationale, mais immédiatement suivi de nombreux reportages sur les petits Mohamed qui avaient refusé de rendre hommage aux journalistes. Par son parcours scolaire, Sabri Louatah fait pourtant partie des réussites de l’intégration républicaine. Origines kabyles, naissance en France dans une famille ouvrière installée depuis longtemps à Saint-Étienne. Classe préparatoire littéraire comme la plupart des héros de 404, tentative d’entrer à Normale Sup où il refuse de plancher sur Crébillon Fils un auteur du XVIIIe. Pourquoi ? Allez savoir. Sarkozy n’aimait pas Madame de La Fayette, mais la comparaison est osée, je vous l’accorde. De toute façon Sabri Louatah se voulait écrivain, ce qu’il est devenu. Les hasards de la vie le mènent à Philadelphie où il suit sa femme chercheuse. Rien de mieux que de s’éloigner explique-t-il pour comprendre un pays. Et cela tombe bien car avec l’élection de Trump il a devant lui ce qui ne pouvait manquer de nous arriver. Trump un sacré raconteur d’histoires, doit en partie son succès aux deepfakes, ces vidéos truquées conçues pour contaminer nos cerveaux. Certes leur technologie n’est pas encore parfaite, alors vive la littérature, Sabri Louatah imagine qu’avec les progrès de l’intelligence artificielle nous ne saurions plus en capacité de les identifier. Mais plus qu’à la technologie c’est à nos réactions que s’intéresse Louatah. À la manière dont nous acceptons, ou pas, ce qui nous est proposé. Et là nous sommes en plein dedans. Qui aurait pu imaginer que la « théorie » du grand remplacement s’impose dans le débat public, à l’extrême droite et jusque dans la droite qui se voulait jusqu’il y a peu républicaine. Sur ce sujet Sabri Louatah aime à rappeler que si le grand remplacement a eu un sens, c’est en Algérie pendant la colonisation, quand il s’est agi de remplacer les autochtones par des Français venus de métropole.

L’Allier n’est pas un département qui attire de nouvelles populations

Alors Louatah invente son histoire qui se déroule dans l’Allier, un département rural de la diagonale du vide que personne ne sait placer sur une carte. Il la localise à La Brèche, un gros bourg imaginé sur le modèle du Donjon une commune située à l’est du département, pas très loin de sa Loire natale. Nous allons parcourir le Bourbonnais de Vichy à Moulin et Montluçon qui en fut longtemps la plus grande ville. Et même à Huriel, un nom qui me parle. Ce n’est pas qu’on vit particulièrement mal dans l’Allier, c’est juste que le département symbolise cette France oubliée, privée des services publics, des trains, des médecins. Ce qui est sûr c’est que l’Allier n’est pas un département qui attire de nouvelles populations. Que les enfants d’immigrés, ceux qui sont ressentis comme Arabes, y sont peu nombreux. Car où se seraient-ils installés ? À Vichy avec sa noblesse dorée. À Moulins la ville administrative ? À Montluçon un peu mais Dunlop vivote depuis 1981 alors la ville perd des habitants. Pourtant il va s’y passer des choses dans ce département. Les personnages du roman, quasiment tous d’origine maghrébine vont s’affronter. Les anciens avec les jeunes, ceux qui estiment devoir s’adapter et les autres, les bons et les moins bons. Ceux qui ont fait des études et ceux qui n’en ont pas fait.

La vidéo montre la candidate agressée puis violée par le doigt du président

Ali et Allia se sont rencontrés en hypokhâgne il y a vingt-deux ans. Ils étaient les deux Algériens de la classe. Ils se sont quittés quand Allia a fait Polytechnique et que Ali ayant raté Normale Sup est devenu cuisinier. Ali n’a jamais osé dire à Allia qu’il a choisi ce métier parce qu’elle lui avait un jour dit qu’elle pourrait avoir un orgasme si un homme lui faisait bien à manger. Ali n’est plus cuisinier, du moins dans un restaurant, il œuvre pour des particuliers. Allia s’en est allée travailler aux États-Unis et depuis c’est toujours lui qui envoie des messages. Mais cette fois Allia a pris l’initiative pour lui dire qu’elle est de retour à Paris et qu’elle aimerait qu’il cuisine pour un dîner qu’elle organise. Alors Ali saute dans le premier TGV au départ de Saint-Étienne, le moins cher. Il la retrouve dans un café des hauteurs de Pigalle où le costard Hugo Boss est de mise, un jour où on discute de la dernière vidéo de la présidente. Celle qui fut installée au ministère de l’Économie et des Finances avant de remporter l’élection présidentielle en 2022. La candidate alors trentenaire a ringardisé les candidats en utilisant le réseau TikTok. Elle est jeune, belle, elle séduit en France, mais elle est peu connue à l’étranger. Elle entreprend donc une tournée internationale en terminant par Alger. Sa famille fut il y a longtemps favorable à l’Algérie française, et ses positions sur les migrants de Méditerranée sont celles de la majorité de ses compatriotes. Pas vraiment favorables aux immigrés. C’est pendant son entretien à huis clos avec le président algérien que la vidéo aurait été prise par des caméras de surveillance. Elle montre la candidate agressée puis violée par le doigt du président. Alors faux ignoble comme l’affirme les Algériens et la présidente française ? Deux certitudes quand même. La candidate était apparue en mauvais état à la conférence de presse qui avait suivi l’entretien, et l’enregistrement a fait un tabac sur les réseaux sociaux. Deepfake avait conclu les experts. Ou plutôt mirage du nom de la société californienne Mirage Entertainment qui élabore des logiciels permettant à tout un chacun d’en créer. Certes mais par la suite une nouvelle vidéo, cette fois avec le son, issue d’une minuscule GoPro était apparue attestant de l’agression. Allia est revenue en France pour intervenir comme expert devant une commission parlementaire qui s’est emparée du sujet. Allia explique à Ali qu’avec les avancées technologiques on ne peut plus identifier les faux. Elle lui annonce cependant qu’elle va lancer une antidote numérique, et qu’elle a besoin de ses services pour le repas qu’elle va organiser avec des investisseurs.

Allia veut redonner goût au réel

Quand Allia intervient devant la commission parlementaire un député met en doute sa loyauté parce qu’elle a la double nationalité française et algérienne. Alors cette grande et belle femme, majore à Polytechnique, au parcours professionnel détonant, s’en va. Elle va quand même mener à terme son projet en créant une application intitulée 404. 404 c’est l’erreur qui s’affiche quand une page web n’a pas été trouvée. Ce fut aussi quand elle était bâchée la Porsche des immigrés. Avec son appli les vidéos seront désormais protégées, infalsifiables, on ne pourra ni les enregistrer ni les truquer. Certains vont l’utiliser pour se lâcher car il ne restera aucune trace de leurs déclarations. D’autres pour faire connaître leur nouvel album sans peur d’être piraté. Officiellement le but de 404 n’est pas de devenir rentable. Toute publicité y est prescrite. Allia veut redonner goût au réel. Elle déploie son application dans le seul département de l’Allier grâce au réseau 5G que le milliardaire Kader, croisé en classe préparatoire, installe sur place. 404 va libérer la parole dans le Bourbonnais, dans des réunions où les participants se lâchent parce que leurs propos ne tourneront pas en boucle sur les chaînes d’info. Mais parfois les outils échappent à leurs créateurs.

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