Une histoire somme toute classique. La femme, le mari, l’amant. Plus le narrateur dont on ne sait rien sauf qu’il a déjà publié et obtenu un succès relatif. La femme veut, l’amant veut, la femme ne veut plus, elle a déjà une famille avec deux enfants, la chair de sa chair, et on a beau dire la famille c’est ça qui compte, et puis quand même c’est son mari même s’ils ne sont pas passés devant le maire, mais la chair est faible alors le retrouver, vite parce qu’avec lui c’est pas du cérébral, c’est du physique, de l’incontournable, rien à voir avec ce qui se passe avec l’autre toquard. Certes elle a bloqué son téléphone, comme ça c’est décidé, définitif, c’est fini, il lui foutra la paix, certes, mais vous le savez de combien de secondes on a besoin pour sortir un numéro des indésirables, à croire que Apple et Google sont des pousse-au-vice, et puis entendre à nouveau sa voix ça promet des trucs pas dégueu. Alors vite à l’hôtel, non c’est loin l’hôtel, tout de suite, dans la rue mais tu n’y penses pas, si sous le porche on nous verra pas. De toute façon la mère de son mari c’est une connasse, elle a jamais travaillé et elle demande qu’on repousse l’âge de départ en retraite, vous le croyez ça, pas étonnant de la part d’une bigote qui défile avec la Manif pour tous. En plus elle traite sa belle-fille de catin, tu parles d’un vocabulaire de bourge, de grenouille de bénitier, sa bru n’est pas une catin éventuellement une petite putain qui fait ce qu’elle veut de son cul et de son corps, de toute façon ça la regarde pas la vieille, elle peut pas comprendre ce qu’est l’amour. Le mari, le cornu, le benêt, il ne sait rien, peut-être ne veut-il rien savoir. Il est comme ça, issu d’une éducation catho, totalement absent de l’idée d’aller faire des galipettes hors du lit conjugal, alors que pourtant il est fort en gym, le gainage et les pompes ne lui font pas peur. Lui il a froid au point de porter une doudoune sur son costard, ça vient de loin, de chez ses parents qui ont acheté une bâtisse tellement grande en Provence qu’ils n’ont pas de quoi la chauffer, alors ça sert à quoi d’habiter dans le Midi si c’est pour se cailler les miches.
Le bouquin vous le lisez d’une seule traite
Comme souvent, à la fin, c’est la forme qui fait la différence, avec comme seul critère l’existence ou non d’une addiction du lecteur, l’envie de retrouver son livre ou au contraire l’hypothèse de passer au suivant. Ici aucun doute le bouquin vous le lisez d’une traite parce que des comme lui on n’en trouve pas souvent. D’accord il est court, pas même 200 pages en version papier, encore moins en numérique, mais des romans courts qui ne le sont pas assez ce n’est pas ça qui manque. Si on ne lâche pas mon Mon maître et mon vainqueur ce n’est pas pour l’intrigue ni pour le suspense. La fin on la connaît dès la première phrase quand François-Henri Désérable écrit « J’ai su que cette histoire allait trop loin quand je suis entré dans une armurerie ». De toute façon la suite se déroule dans le cabinet d’un juge en compagnie du narrateur façon Article 353 du code pénal de Tanguy Viel, alors même si le magistrat se délecte de haïkus c’est pas pour son expertise littéraire qu’on a été le chercher. Non si on s’accroche autant au livre c’est que sa forme est délectable, on aurait pu écrire désirable en cédant à la facilité. Il en a du talent François-Henri à 34 ans, quatre romans publiés, dix ans de carrière dans le hockey sur glace, et tellement d’humour derrière la plume.
Pire que Marlène Schiappa
Et il y a les personnages. Le trio, le narrateur, le juge, la mère, et puis Adrien, totalement secondaire dans le récit, mais qui me parle. Adrien est un copain d’Edgar qui bosse au ministère des Finances, faute de goût. Il est informaticien à la DGFip pour gagner sa vie, écrivain par vocation. Adrien a eu la malchance de publier son premier roman. La malchance parce qu’un refus de l’ensemble des éditeurs l’aurait sans doute calmé, dissuadé de recommencer. Hélas Adrien a vécu ce grand jour où son œuvre allait accéder aux tables des libraires, du moins le croyait-il. Sauf que son roman allait au mieux trôner dans les cartons des rares librairies qui l’avait commandé. Résultat quarante-deux exemplaires écoulés dont vingt pour ses parents et dix qu’il avait offerts à ses collègues. Pire que Marlène Schiappa. On n’ignore tout du profil des « véritables » acheteurs. On sait toutefois que ni les oncles ni les tantes qui avaient découvert le livre au pied du sapin, ni ses collègues, n’avaient exprimé la moindre satisfaction. Adrien avait aussi gagné dans son service le surnom de « l’écrivain », surnom vite transformé en « l’écrevisse » sans que l’on sache pourquoi. Par pure solidarité de blogueur prêt à tout pour conquérir de putatifs lecteurs, à dire du mal de personnes que je respecte infiniment en lieu et place de leurs subordonnés qui n’osent le faire, rien que pour les flatter, je tiens à témoigner toute ma solidarité à Adrien.
Tina était comédienne et surtout pas comme les autres
« Mon maître et mon vainqueur » c’est ce qui était écrit sur la couverture du cahier, un Clairefontaine 21 * 29,7 à grands carreaux de quatre-vingt-seize pages. C’est la première chose que lui avait montrée le juge quand il était entré dans son bureau. On pouvait y lire des poèmes. C’est avec un revolver et des traces de poudre sur ses doigts tout ce qu’on avait trouvé sur Vasco. Tout ce qui restait de son histoire d’amour. En tant que meilleur ami de Vasco et proche de Tina, il était bien placé pour raconter ce qui s’était passé. C’est pour cela que le juge l’avait convoqué. C’était chez lui qu’ils s’étaient rencontrés. Tina était comédienne et surtout pas comme les autres. Elle ne mangeait rien le soir ou alors seulement une soupe, une pomme ou un pépin de pomme. Le matin elle se transformait en ogresse avec ses biscottes, ses yaourts, ses œufs mollets, ses deux cafés, et les poèmes de Verlaine et de Rimbaud qu’elle aimait tant dire. Vasco de son côté s’était épris des livres après avoir rencontré une bibliophile, ce qui l’avait poussé à faire l’école des Chartes et à se faire embaucher à la Bibliothèque nationale de France. C’est là qu’il l’avait vue la première fois. Avant Tina avait croisé Edgar, un mec très grand aux yeux verts comme elle. Ils avaient eu deux jumeaux, Arthur et Paul, que Tina avait hésité à garder. Jusqu’à ce qu’ils soient parents Edgar et Tina vivaient intensivement leur sexualité, mais avec la naissance elle se transforma en amour paisible. Edgar s’en satisfaisait, il continuait à entretenir son corps, à jouer torse nu au baseball au bois de Vincennes, Comme il grinçait des dents la nuit, il portait une gouttière occlusale qu’il plaçait dans sa bouche avant de s’endormir. Et puis Tina rencontra Vasco.
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