C’est une belle histoire qui demeure inconnue. Celle des Musulmans et des Arabes qui ont sauvé des Juifs pendant la guerre. On n’en trouve pourtant aucune trace parmi les 23 000 personnes reconnues « Justes parmi les nations » recensées par Yad Vashem, le mémorial construit à Jérusalem en souvenir des victimes de la Shoah. C’est pourquoi Mohammed Aïssaoui a choisi de nous la raconter avec les encouragements d’Élie Wiesel, qui lui a un jour dit « Celui qui écoute le témoin devient témoin à son tour ». Un des buts de Mohammed Aïssaoui était de montrer que Musulmans et Juifs n’ont pas toujours été opposés. Que le jeune Anouar el-Sadate futur chef de l’État égyptien indépendant, en guerre contre l’armée britannique, avait eu tort quand il avait justifié l’entente avec l’Allemagne nazie d’une formule sans nuance ni réflexion : « L’ennemi de mon ennemi est mon ami. ». Non tous les Musulmans n’ont pas agi comme Al-Husseini grand mufti de Jérusalem qui a pactisé avec Hitler. Ce qui ne l’a pas empêché d’être porté en terre à Beyrouth en 1974 sous des acclamations. Les recherches de Mohammed Aissaoui se sont focalisées sur Si Kaddour Benghabrit (SKB) qui a dirigé la Grande mosquée de Paris pendant la guerre. Elles n’ont pas totalement abouti car la transmission de la mémoire a été défaillante. Il a trouvé de nombreux témoignages attestant de Juifs sauvés par des Musulmans. Mais pas assez de documents pour qu’ils soient reconnus par Yad Vashem. Son travail a aussi montré la complexité des personnalités sur lesquelles il a enquêté. Sa quête du passé rapproche Mohammed Aïssaoui d’Anne Berest qui a tenté de retrouver son histoire familiale dans La carte postale. Les deux écrivains se sont rencontrés le 07 avril 2002 à l’occasion de la remise du prix littéraire des étudiants de Sciences Po à Anne Berest. Mohammed Aïssaoui faisait partie du jury au côté d’Aurélie Filippetti, qui elle aussi a écrit sur le thème de la transmission dans Les Derniers Jours de la classe ouvrière.
Les Maghrébins étaient nombreux en 1939 en France
Un des premiers documents consulté par Mohammed Aïssaoui est le film La Mosquée de Paris : une résistance oubliée du réalisateur Derri Berkani. On y croise des témoins juifs et arabes dont la parole n’a pas franchi le temps. Ils nous disent que des enfants juifs se sont réfugiés dans la Mosquée en attendant de fuir ailleurs. Ils se cachaient dans les combles et pouvaient s’enfuir dans les égouts via les sous-sols. Au total 1 732 personnes seraient passées par la Mosquée de 1940 à 1944. Pour les sauver Si Kaddour Benghabrit qui la dirigeait n’aurait pas ménagé ses efforts. Il aurait notamment fait graver le nom du père du chanteur juif Salim Halali dans le cimetière franco-musulman de Bobigny, ce qui lui aurait permis d’échapper à la Gestapo. Salim Halali popularisa après la guerre la chanson arabo-andalouse, un peu comme le fit après lui Enrico Macias. Alors pourquoi ne trouve-t-on pas trace de SKB à Yad Vashem ? Une des responsables du mémorial explique qu’ils ont ouvert un dossier sans réussir à le mener à son terme. C’est ce que confirme Serge Klarsfeld qui déclare n’avoir jamais vu de documents attestant du sauvetage de Juifs par des Musulmans. Klarsfeld pense toutefois qu’il y en a eu, plutôt des cas isolés. Sa mère a ainsi bénéficié de faux papiers avec un nom algérien. Ce que l’on sait c’est que les Maghrébins étaient nombreux en 1939 en France, 100 000 selon l’historien Benjamin Stora. Ils n’étaient ni Français ni immigrés, ils n’avaient pas de statut. Aziza Benghabrit est la dernière fille de SKB, il l’a eue à soixante-treize ans. Elle est persuadée que son père a sauvé des Juifs mais il ne lui en a jamais parlé. Michel Tardieu dit la même chose de sa mère infirmière à l’hôpital de Bobigny, qui aurait bénéficié de l’aide de SKB. Vrai ou non on sait que des résistants et des parachutistes anglais ont été opérés à l’hôpital.
SKB était régulièrement questionné pour savoir si des personnes étaient juives ou musulmanes
Question certitude il y en a au moins une. Elle concerne Mohammed V sultan du Maroc sous le protectorat français. Il s’est pendant la guerre opposé à ce que les Juifs portent l’étoile jaune. Pourtant le représentant de Vichy en avait fait préparer 200 000 pour les 200 000 Juifs de son royaume, avant de s’entendre dire du sultan qu’il en faudrait 50 de plus pour lui et sa famille. L’histoire est véridique au contraire de celle du roi du Danemark qui relève de la légende. Philippe Bouvard lui aussi a été en contact avec SKB. Enfant juif il a accompagné sa mère à la Grande Mosquée. Mais pas pour s’y cacher, parce que SKB y tenait salon. Alors de commissariats aux Archives nationales de Fontainebleau et à celles des Renseignements généraux, d’Algérie au Maroc, Mohammed Aïssaoui a poursuivi ses recherches. Il a compulsé de nombreux documents et trouvé des traces de l’action de SKB pendant la guerre. Il a pris conscience de sa proximité avec les Allemands, lui qui était officiellement « conseiller du gouvernement marocain » mais pas de sa collaboration. Il a noté que le directeur de la Grande Mosquée a assez vite récupéré la direction de l’hôpital franco-musulman de Bobigny. Il a vu comment SKB a aidé des amis, comment il était régulièrement questionné pour savoir si des personnes étaient juives ou musulmanes. Et SKB a selon les cas fourni l’une ou l’autre des réponses. Mohammed Aïssaoui a rencontré des comportements héroïques comme celui d’Abdelkader Mesli imam à la Mosquée de Paris pendant la guerre. Mesli a été déporté à Dachau et Mauthausen comme résistant, probablement pour trafic de faux papiers à destination de Juifs. Mais de retour des camps Mesli n’a rien raconté. Une fois de plus la transmission ne s’est pas faite. Mohammed Aïssaoui a aussi croisé des légendes, comme celle de Simone Veil qui aurait été sauvée par la Mosquée de Paris. Mais elle a toujours démenti.
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Super intéressant, Laurent. Ce livre mérite décidément d’être connu, lu et discuté. Merci !