Surbooké

Le blog de Laurent Bisault

Alto Braco, Vanessa Bamberger, Éditions Liana Levi

Août 15, 2022 #Liana Levi

Brune enterre Douce, elle rend sa grand-mère à l’Aubrac. Des deux sœurs Rigal, Douce la plus jeune est pourtant partie en premier. C’est pourquoi Annie l’aînée, qu’on a toujours appelée Granita, est aussi du voyage vers l’Alto Braco, les hautes terres en occitan ancien. Douce était la plus belle, on l’avait même comparée à Ava Gardner, Granita avait pour elle l’énergie. Elles ont ensemble élevé Brune dont la mère était morte quelques jours après avoir accouché. Les deux sœurs étaient montées en 1960 travailler dans un bistrot d’Asnières l’ambition chevillée au corps. Un an plus tard on leur confiait la gestion d’un bar. Encore vingt ans et elles achetaient Le Catulle un restaurant du XVIIe arrondissement où Brune allait grandir. Brune emmène Douce à Lacalm un village du plateau où ses deux grands-mères l’envoyaient passer ses mois d’août. Après l’enterrement Brune dort dans la maison de son cousin Bernard le boucher de la famille. Il réside de l’autre côté d’une des frontières de l’Aubrac. À Nasbinals en Lozère alors que Lacalm est situé dans l’Aveyron et qu’une autre partie du plateau relève du Cantal. Trois pays que l’on appelait dans un autre temps le Gévaudan, le Rouergue et l’Auvergne. Bouchère c’est ce que Douce n’avait jamais voulu être. Elle avait refusé de succéder à ses parents, préférant gagner sa vie en cuisinant la viande locale à la capitale. Une autre manière de contribuer à l’économie du plateau au côté des éleveurs. Douce avait quitté l’Aveyron quand elle s’était retrouvée enceinte d’un homme marié.

Douce et Granita avaient trimé tant et plus

C’est un roman sur les racines, sur la transmission, le retour au pays, c’est un peu de son histoire personnelle que nous livre Vanessa Bamberger. Car l’autrice a elle aussi été élevée par ses deux grands-mères originaires de l’Aubrac. C’est également un reportage fort bien documenté sur la vie de ce plateau dont on trouvera difficilement l’équivalent en France. Glacial et enneigé l’hiver, parcouru par les touristes et les pèlerins à destination de Compostelle l’été. Un écosystème fragile dont les acteurs tentent de s’adapter à la modernité, pas toujours de la meilleure façon. Pour Brune qui ramène sa grand-mère où elle était née, c’est d’abord la découverte des secrets familiaux. À commencer par la compréhension du souhait de Douce de revenir sur l’Aubrac alors qu’elle s’en était abstenue pendant tant d’années. Certes Douce et Granita avaient trimé tant et plus, ignorant les week-ends et les vacances pour accumuler toujours davantage comme tous les Aveyronnais qui se respectent. Il était de bon ton chez les deux restauratrices de détester 35 heures, RTT et fonctionnaires. Soit tout ce qui résumait le statut de leur petite-fille directrice d’une crèche. Les deux sœurs avaient même ignoré la procession estivale de leurs confrères, qui chaque année prenaient plaisir à montrer leur luxueuse berline étrangère dans les rues de Laguiole. Alors pourquoi donc avoir tant insisté pour être enterrée en Aveyron ?

Ils coupent les cornes pour intensifier l’élevage en stabulation

Ce secret en amènera d’autres. Comme il amènera Douce à comprendre le fonctionnement de la vie sur le plateau. Les élevages en théorie extensifs mais pas toujours reluisants. Car la condition de la survie des exploitations est de disposer d’assez de terres. De pouvoir envoyer les bêtes aux estives. Alors certains éleveurs seraient prêts à tuer père et mère pour vingt mètres carrés de pelouse. D’autres plutôt que de laisser les vaches pâturer les fleurs, qui donnent du goût à la viande, préfèrent les nourrir au maïs. Ils coupent les cornes pour intensifier l’élevage en stabulation et piquent les bêtes aux antibiotiques plus que nécessaire. Les charolaises plus lourdes ont fait leur apparition, mais elles privent les agriculteurs des signes de qualité locaux. Et plus question ensuite pour les vaches de mettre bas seules comme les aubracs l’ont toujours fait. Quant au bio la plupart ne veulent pas en entendre parler parce qu’ils le pratiqueraient depuis longtemps. Pourtant quand il pleut certains champs se mettent à mousser. De toute façon l’économie de l’élevage ne tient sur le plateau que par ses débouchés italiens. C’est dans ce pays que les broutards seront engraissés au maïs par lot de 1 000. Un spectacle que personne ne souhaite évoquer. Peu importe, ici on vénère avant tout la réussite économique qu’elle passe par la migration à Paris ou par la construction d’un restaurant étoilé comme celui de Michel Bras au-dessus de Laguiole.

Qu’en dit Bibliosurf ?
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