« Je suis arrivé à Orly avec ta mère dans ma valise. À l’époque elle rentrait encore dedans ». C’est ainsi que Kaïssar le père de Sabyl débute devant son fils le récit de sa vie d’exilé libanais. Le vieux couple s’entend bien même s’il se dispute tout le temps, par exemple sur la date de leur entrée en France. Septembre 1974 ou septembre 1975 ? Il semblerait que ce soit 1975 juste après leur mariage au pays. Sa mère était incroyablement belle, son père moins, mais elle avait craqué pour ses mots de poète, d’auteur, de metteur en scène et de journaliste. Ils allaient partir deux ans à Paris pour qu’il finisse ses études. Sa mère y retrouverait son frère aîné Elias. Il avait fui le Liban chassé de son université par les Phalanges libanaises de Pierre Gemayel, un parti inspiré des fascistes européens qui rejetait ceux qui se déclaraient propalestiniens. Elias en avait profité pour adhérer au parti communiste français et à aimer les femmes, beaucoup de femmes, qui le lui rendaient bien. Les parents de Sabyl ont quitté leur pays peu après le début de la guerre. On la date au 13 avril 1975 quand les phalangistes ont mitraillé un bus transportant des Palestiniens. Les partisans de Pierre Gemayel avaient un autre récit. Peu importe. L’important était que ça allait durer quinze ans. Que l’aéroport de Beyrouth avait été fermé peu après leur arrivée à Paris C’était surtout elle qui en souffrait, des clochards qu’elle découvrait, du métro qui puait, du sumac et de la cardamome qu’elle ne trouvait qu’à l’épicerie Izraël dans le IVe arrondissement où elle traitait en arabe les employés de sionistes pour qu’ils ne la comprennent pas. Kaïssar était heureux à Paris. Il travaillait comme traducteur pour de grandes sociétés comme Saint-Laurent où il n’y avait que des femmes et un homme qui aimait les hommes. Mais en réalité aucun des deux, ni même leur fils, n’ont jamais fait le deuil de leur pays d’origine.
Mieux valait ne pas trop gratter au sein des familles, au risque de tomber sur des frères ou des cousins qui avaient participé à des massacres
Beyrouth-sur-Seine c’est l’histoire du Liban depuis son implosion en 1975, l’histoire vue par les parents du narrateur. Deux Libanais partis à l’étranger et qui y sont restés pour échapper à la folie qui s’était abattue sur leur pays. C’est le récit d’un exil, des racines coupées, du mythe du retour au bercail toujours entretenu même quand plus personne n’y croyait. C’est un constat implacable de la désagrégation d’un pays qui fut un temps qualifié de « Suisse du Moyen-Orient » avant d’exploser sous les coups des affrontements communautaires. Pensez donc que les différentes religions avaient toujours vécu mélangées à Beyrouth, avant que les chrétiens migrent à l’ouest et les musulmans à l’est, puis que sunnites et chiites se séparent. Avec en arrière-plan tous ces pays qui soufflaient sur les braises : Syrie, Israël et Iran. Beyrouth-sur-Seine c’est une famille éclatée avec un frère fidèle à l’idéologie communiste et l’autre qui renie son allégeance à Moscou après un séjour en URSS. Ce qui ne les empêche pas de se retrouver à Paris pour fêter la naissance de leur nièce. De toute façon mieux valait ne pas trop gratter au sein des familles, au risque de tomber sur des frères ou des cousins qui avaient participé à des massacres. Beyrouth-sur-Seine c’est un père qui choisit de rester libre dans cet environnement devenu fou. Ce qui motiva son expulsion de la Sorbonne pour avoir insulté les trois religions monothéistes et traité le prophète de partouzeur. Beyrouth-sur-Seine c’est la vie du narrateur qui n’a passé que huit années dans son pays d’origine, mais qui ne s’est senti français qu’à de rares moments comme lors des attentats de Charlie Hebdo ou de Nice. Beyrouth-sur-Seine c’est un livre foutraque qui part dans tous les sens, un peu comme ce pays mythifié auquel personne ne comprend rien, et surtout pas les Libanais. Un livre qui vient de recevoir le Goncourt des lycéens, ce qui devrait lui assurer un succès bien mérité.
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