Beyrouth mars 1948. Louis Pelletier dirige la « Maison Pelletier et fils », une savonnerie qu’il a acquise dans les années vingt et qu’il a développée. Il l’avait imaginée comme l’égale de ce que sont Michelin à Clermont, Schneider au Creusot ou Wendel en Lorraine avant d’en rabattre. Son usine n’en est pas moins un fleuron de l’industrie libanaise. Louis Pelletier a eu avec sa femme Angèle quatre enfants. François étudiant à l’École normale supérieure à Paris, Jean qui a fui dans la capitale française avec son épouse Geneviève pour ne pas diriger l’usine. Étienne le préféré d’Angèle qui s’apprête à rejoindre en Indochine Raymond, un légionnaire belge avec qui il a vécu une grande passion. Et Hélène, dix-neuf ans, qui voudrait imiter ses frères. À Saïgon Étienne trouve du travail au service contentieux de l’Agence indochinoise des monnaies. À défaut de retrouver Raymond torturé et exécuté par les Viêts, Étienne découvre la ville avec Gaston Paumelle, un collègue fils et petit-fils de colons. Les restaus, les établissements de nuit, les putes chinoises et annamites. Un train de vie bien trop élevé par rapport à son salaire. Alors Paumelle lui révèle qu’il profite de sa position à l’Agence pour jouer sur le cours des piastres. En les faisant transiter par la métropole, il double leur valeur. François a laissé tomber ses études pour sa passion le journalisme. Il doit pour l’instant se contenter d’un petit emploi au Populaire. L’euphorie de la Libération est désormais oubliée dans la capitale. Le rationnement est toujours de mise et l’inflation grignote les maigres revenus. Puis François réussit à se faire embaucher au Journal du soir, le quotidien dirigé par Adrien Denissov qui le fait tant rêver. Le mariage de Jean se transforme rapidement en calvaire. Incapable de trouver un emploi de représentant de commerce, le seul métier qu’il ose envisager, il doit en plus supporter les réflexions de sa femme. Le couple bat tellement de l’aile que la petite amie de François refuse de manger avec eux en arguant qu’elle est dingue et que lui est une couille molle.

Le Viet – minh est partout, insaisissable, dans une guerre que l’armée française ne comprend pas

Formidable réussite que ce premier volume de la saga de Pierre Lemaitre sur les Trente Glorieuses. Le second tome vient de sortir, et s’il est du même niveau que Le Grand Monde, on n’a pas fini de se régaler. Dans ce premier opus on navigue entre Beyrouth, Saïgon et Paris aux côtés de la famille Pelletier. La guerre est terminée depuis quatre ans mais les années glorieuses se font encore attendre. Certes on mange mais il faut encore faire avec les tickets de rationnement. Même si la France a fait partie des vainqueurs, elle ne va pas tarder à en rabattre dans ses ambitions coloniales. Le récit est vivant, documenté, passionnant, comme les romans-feuilletons que Lemaitre ressuscite. La description de l’Indochine, moite, déclinante, où les Français se goinfrent dans la capitale sous la protection de fortins, est fabuleuse. Les colons sont veules, glauques, ils naviguent de pipes d’opium en prostituées et se ruinent au jeu. Ils savent tous que ça n’aura qu’un temps. Le Viet – minh est partout, insaisissable, dans une guerre que l’armée française ne comprend pas, alors autant en profiter avant qu’on les foute dehors. À Paris Pierre Lemaitre nous plonge avec gourmandise dans la vie d’un grand journal, en faisant revivre un patron de presse comme il n’en existe plus. Tout le monde devrait trouver du plaisir à lire cet auteur qui a fait ses armes dans les romans policiers. Son récit pétille, on adore les membres de la famille Pelletier. On se délecte de l’humour de Lemaitre, quand il fait dire au responsable de l’Agence indochinoise des monnaies que « sa première femme était une salope, je vous dis pas ». Ou quand un sénateur déclare « Je n’ai pas monsieur, je n’ai jamais eu de compte dans l’un de ces établissements, ni maintenant ni jamais ». Jérôme on te salue. Vivement la suite !

Qu’en dit Bibliosurf ?
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