« Les violences faites aux femmes, c’est un truc qui t’intéresse ? ». La question lui est posée par un homme qui travaille à la direction de l’administration pénitentiaire. La vérité est que Mathieu Palain ne s’en est jamais préoccupé, du moins professionnellement. En dix années de journalisme il n’y a jamais consacré la moindre enquête ni écrit la plus petite brève sur le sujet. Avec son troisième livre Nos pères nos frères nos amis, ce jeune auteur rectifie magnifiquement le tir en nous emmenant dans un univers que nous côtoyons quotidiennement tout en l’ignorant. Et c’est bien cela le but du livre sous-titré « Dans la tête des hommes violents », nous faire admettre qu’user de la force physique contre les femmes n’a rien d’exceptionnel. Il y a officiellement 220 000 plaintes déposées chaque année pour violences conjugales, ce qui atteste de l’existence d’autant d’hommes qui frappent et contraignent. Mais on sait bien que ce chiffrage est sous-estimé car la plupart des femmes concernées n’osent pas se rendre dans un commissariat de police ou une caserne de gendarmerie. Au prix d’une introspection Mathieu Palain raconte que sa famille a été touchée par ce fléau. Sa mère, qui à l’occasion du livre, lui a révélé avoir été agressée à dix-sept ans par le père d’une petite fille qu’elle gardait. Et lui-même qui à dix-huit a obligé la fille dont il était amoureux à l’embrasser. On aurait pu penser que le mouvement MeToo, en libérant la parole des femmes, allait nous faire collectivement progresser. Or il n’en est rien ou alors pas tout de suite. Car le changement de la norme sociale, qui condamne désormais les violences faites aux femmes, a aussi pour conséquence d’enfoncer les hommes dans le déni. Alors Mathieu Palain est parti enquêter. Rencontrer des femmes battues, des hommes cogneurs, des soignants et accompagnateurs qui ne baissent pas les bras. Il en a ramené des pistes, mais aucune solution magique. Ainsi qu’un livre qui marque, comme l’était le précédent Ne t’arrête pas de courir que j’ai tant aimé.
Les hommes peinent à reconnaître leurs torts
Ça commence avec Cécile tabassée pendant quarante-cinq minutes par son copain, sans discontinuer, jusqu’à ce qu’elle parvienne à s’échapper défigurée. Comme ils ont tous deux déposé une plainte, la justice refuse de trancher et les oblige à suivre un stage de responsabilisation sur les violences conjugales. Quand elle s’y rend Cécile est entourée d’une autre femme et de vingt mecs. Elle est la seule à ressentir de la culpabilité parce qu’elle avait trompé son compagnon et parce qu’elle lui avait mis deux gifles pour se défendre. Ici chaque homme est persuadé que sa bonne femme l’a poussé à bout. Alors Mathieu Palain se souvient de la proposition qui lui avait été faite et il part à Lyon en reportage dans un groupe de parole sur les violences entre hommes et femmes. Plus contraints que volontaires, les hommes peinent à reconnaître leurs torts. Leur vie ne ferait rêver personne, un père qui bastonnait leur mère, une naissance issue d’un inceste, un séjour en prison. La plupart étaient violents avant de cogner leur compagne. Le plus dur pour eux est d’envisager l’égalité des droits avec les femmes. Les laisser porter selon leur bon vouloir une minijupe, les autoriser à décider de l’opportunité de relations sexuelles, partager les tâches ménagères sont pour eux autant de défaites personnelles. Pire la possibilité pour une femme de faire appel à la justice entraînerait un chantage permanent : « “ Je vais inventer que tu m’as tapée ”, et hop prison ».
Les médecins et les psys qu’il interroge insistent sur le poids des traumatismes subis pendant l’enfance
La plupart des participantes au groupe de parole lyonnais sont issus de l’immigration, c’est-à-dire d’un milieu défavorisé. Or pour Liliane Daligand médecin légiste et experte auprès des tribunaux, la violence des hommes concerne toute la société. Elle est juste moins visible là où l’aisance sociale dissuade de la dénoncer. La diffusion de son enquête sur France Culture ouvre d’autres portes à Mathieu Palain, celle des personnes cultivées, éduquées, de milieux qu’on imaginerait facilement moins concernés. Mais les réponses à son podcast lui envoient les mêmes méfaits, les mêmes femmes tabassées, pas davantage capables que les autres de quitter leur bourreau. Les médecins et les psys qu’il interroge insistent sur le poids des traumatismes subis pendant l’enfance. Sur l’éducation des jeunes générations, pour ne plus faire des jeunes garçons des adultes qui règlent tout avec les poings. Pour ne pas préparer les petites filles à devenir des femmes soumises. Ce n’est pas gagné …
Comment travaille Mathieu Palain ?
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-source/la-source-du-dimanche-02-octobre-2022-7588149
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