Surbooké

Le blog de Laurent Bisault

Les derniers jours de la classe ouvrière, Aurélie Filippetti, Éditions Stock

Mar 26, 2023 #Stock

C’est l’histoire d’un homme qui fut de tous les combats pour les mines et la sidérurgie du côté de Villerupt tout au nord de la Lorraine. C’est l’histoire d’un mineur qui avait commencé à travailler au fond dès l’âge de quatorze ans, peu avant de prendre sa carte à la CGT et au Parti communiste. C’est l’histoire d’un monde disparu où ceux qui avaient donné leur vie pour faire vivre l’acier en France venaient d’ailleurs. Ils étaient immigrés transalpins et ils ont tellement marqué la petite ville de Meurthe-et-Moselle qu’elle est désormais célèbre pour son festival du film italien. Ils en ont connu des humiliations comme ce jour de février 1944 quand la Gestapo était descendue les rafler au fond du puits, guidée par le directeur de la mine. Les de Wendel qui faisaient tourner les hauts fourneaux pour les canons du Reich, et les patrons de la Société des Mines Terres-rouges, étaient complices de l’arrestation des quatorze mineurs emmenés dans un camp. À Thil en Lorraine ou plus loin en Allemagne à Dora et Bergen-Belsen. L’un d’eux fut même largué sur un bateau dérivant sur la Baltique, et fut miraculeusement retrouvé vivant entre des corps en putréfaction. Mais vivant il ne le fut pas longtemps car il mourut peu après son retour en Lorraine assassiné par le souvenir.

Pour tous la même angoisse de la mort

Ces Italiens étaient des paysans affamés venus des Marches ou d’Ombrie que les patrons français étaient allés chercher en les faisant d’abord venir à pied puis en les convoyant en train. Ils se sont faits mineurs ou sidérurgistes dans l’usine de Micheville, et ont entretenu la rivalité ancestrale entre ces deux professions. À ceux qui se privaient de lumière le travail le plus dur et le mieux payé. Aux autres la fierté de contribuer à des ouvrages qui faisaient rêver comme la Tour Eiffel. Et pour tous la même angoisse de la mort en ne remontant pas du fond, ou en basculant dans le métal en fusion à deux mille degrés qui ne rejetait rien des corps. Alors faute de pouvoir rendre quelque chose à leur veuve, ses camarades lui donnaient un bout de rail qu’elle mettait dans le cercueil.

Angelo avait durement payé sa vie de mineur

Parce qu’il était né dans ce milieu ouvrier, Angelo avait refusé l’École des mines de Nancy qui aurait fait de lui un cadre bien docile. Mais porté par ses camarades il devint d’abord délégué mineur, puis conseiller municipal, premier adjoint et enfin maire. Ces fonctions il les utilisa pour les défendre. En 1968 et en 1979 quand une immense foule déferla sur Longwy pour protester contre la fermeture des aciéries. Pour les mines le combat était déjà perdu, le minerai lorrain ayant été supplanté par celui du Brésil. Le pays du fer allait mourir. Après des générations de profits, les de Wendel avaient réussi à vendre leurs aciéries à l’État pour 200 milliards de francs. Par un drôle de hasard la nationalisation offerte par la droite épargna les quelques activités encore rentables. Angelo avait durement payé sa vie de mineur. Un père dans les camps, trente-deux mois en Algérie, la rudesse du travail, et pour finir l’effondrement des certitudes en découvrant ce qui s’était passé dans la patrie du socialisme. Et ce n’est pas la tant espérée victoire de la gauche qui allait durablement les sauver. La classe ouvrière lorraine était vaincue. Aurélie Filippetti la fille d’Angelo nous en a heureusement compté l’histoire.

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