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Le blog de Laurent Bisault

Le royaume enchanté de Tony Blair, Philippe Auclair, Éditions Fayard

Juin 24, 2023 #Fayard

1976, c’est à cette époque que Philippe Auclair a découvert l’Angleterre. Celle des industries qui avaient grandi dans le cocon colonial, les mines de charbon, les voitures Morris, Austin, Rover. Un pays qui n’avait pas encore connu Thatcher. Quand en 2006 sort Le royaume enchanté de Tony Blair le Royaume-Uni est un modèle pour le reste de l’Europe. Tony Blair est au pouvoir depuis 1997 et ne va pas tarder à le lâcher. Il y a accédé en vantant sa troisième voie, celle du nouveau Labour. Ni Thatchérien, ni travailliste comme pouvait l’être Harold Wilson le dernier dirigeant du parti lié aux syndicats à avoir dirigé le pays. En 2006 Blair est en France adulé du RPR au PS pour la monnaie forte de l’Angleterre. Pour son faible taux de chômage qui autorise à parler de plein emploi. Pour la flexibilité de son économie dont il est urgent de s’inspirer pour couper le cou à l’État-providence. Mais ils se trompent nous dit Philippe Auclair, et il le démontre dans un passionnant portrait du pays qui l’a accueilli.

Qui est Tony Blair ?

Auclair a un parcours atypique. Il est le plus souvent présenté comme journaliste spécialisé dans le foot, mais il est aussi passé par Marianne. Il a dans une vie antérieure étudié la philosophie en France puis résidé en Belgique. Il est devenu musicien en Angleterre sous le pseudo de Louis Philippe, tout en étant embauché par easy Jet pour susurrer les consignes de sécurité aux passagers. Auclair est également un proche de l’écrivain Jonathan Coe ce qui me paraît plus important encore que de faire le bien dans les aéronefs. Avec le recul Philippe Auclair apparaît comme un visionnaire. Car qui est Tony Blair ? Un homme jeune, brillant, qui rejette les partis politiques traditionnels, un homme qui ne se veut ni vraiment de droite ni vraiment de gauche. Un dirigeant qui casse les solidarités nationales, dézingue les services publics de la santé à l’éducation. Un personnage qui se vante d’éradiquer le chômage aux prix d’emplois qui n’en sont plus, qui restreint les libertés publiques, qui réduit l’espace des individus au profit du marché comme tout bon néolibéral qui se respecte. Tout cela rappelle sacrément ce que nous vivons en France depuis 2017. Alors Tony Macron et Emmanuel Blair même combat ?

Les inégalités et la pauvreté ont progressé

En matière économique Tony Blair a beaucoup délégué à son chancelier de l’Échiquier Gordon Brown qui s’est empressé de promulguer sa « règle d’or ». Avec lui le pays préserverait l’équilibre budgétaire et n’emprunterait que pour investir. Une politique qui n’était possible que si elle s’appuyait sur une forte croissance. L’objectif n’a pas été durablement atteint malgré un environnement économique favorable, notamment grâce à des réserves d’hydrocarbures qui permettaient au Royaume-Uni d’être autosuffisant. Le chômage a certes baissé, passant même sous les 5 % entre les automnes 2003 et 2005. Mais à quel prix ? Celui d’un tripatouillage administratif qui poussait les chômeurs à se déclarer en maladie longue durée ou comme handicapé, deux statuts qui leur épargnaient en partie les contrôles. En janvier 2006 on comptabilisait 1,5 million de sans-emplois et 2,6 millions de « malades ». Les inégalités et la pauvreté ont progressé avec pour premières victimes les enfants qui dormaient dans la cuisine ou la salle de bains faute de place. Car on a rarement aussi peu construit que dans le royaume de Tony Blair. Pourtant ils bossaient les Britishs mais dans quels emplois ? Beaucoup de Mcjobs, des boulots sous-qualifiés, mal payés, sans protection syndicale, avec un des salaires minimums parmi les plus bas d’Europe, et encore moins pour les jeunes. Le Contrat première embauche (CPE) qui allait capoter en France, était de mise en Angleterre.

Too big to fail

Et pourtant ils tenaient le coup, en partie grâce aux facilités de crédit auxquelles ils avaient accès. Via les banques et les chaînes de magasins qui suçaient le sang de leurs clients avec des taux usuraires qui atteignaient 30 %. Oniomanes, c’est ainsi que l’ont définissait les Britanniques, des Junkies qui achetaient ce dont ils n’avaient pas besoin sous l’œil impavide des autorités. Les banques en profitaient pour se gaver telle la Royal Bank of Scotland. Ce que ne savait pas encore Philippe Auclair c’est que ce second établissement financier du Royaume-Uni par sa taille allait faire faillite fin 2008. Et que l’État entrerait au capital pour le sauver. Too big to fail. Arrivé au pouvoir le New Labour de Blair fit face au désastre des services publics. Il s’y attaqua en commençant par les prisons pour satisfaire l’électorat le plus à droite qu’il avait su rallier. Difficile de privatiser cette fonction régalienne, surtout après le passage de Thatcher. Alors on promut les partenariats-publics-privés (PPP). Ce qui revenait à accorder à des grands groupes des concessions sur longue période qui allaient s’avérer ruineuses pour l’État.

 En priorité des bureaucrates et des managers pour rationaliser

En imaginant le National Health Service (NHS), les Anglais avaient conçu après la guerre un des systèmes de protection sociale parmi les plus généreux. Une couverture sociale dont on bénéficiait selon ses besoins et non ses moyens. Or le NHS était à genoux en 2006 par manques récurrents de financements. Pourtant Blair et Brown avaient embauché dès leur arrivée. Mais qui ? En priorité des bureaucrates et des managers pour rationaliser, multiplier les objectifs des hôpitaux, et démotiver les soignants. Dès lors mieux valait jouer avec la réglementation que soigner. Une baisse d’efficacité que les transferts de tâches des médecins vers de super infirmiers ne pouvaient compenser. Pour tenter d’améliorer le fonctionnement du NHS les gouvernements Blair ont là aussi multiplié les partenariats-publics-privés ruineux et inefficaces.

Les trains étaient souvent en retard, du moins quand ils n’étaient pas annulés

Jusqu’à sa privatisation décidée en 1990 par Margaret Thatcher et exécutée par le gouvernement de John Major le rail britannique affichait quelques-unes des meilleures performances européennes. Il était bon marché, fiable, sûr, même si son confort était en retrait par rapport à celui de la SNCF. La vente au privé s’est donc apparentée à un acte de vandalisme purement idéologique. Le contribuable la paya fort cher et certains voyageurs de leur vie pour cause d’incurie des nouvelles sociétés ferroviaires. En arrivant au pouvoir Tony Blair était tenu de réparer ce désastre. En renationalisant ? Pas véritablement. Il a investi massivement en finançant les opérateurs privés. A-t-il au moins obtenu des résultats ? C’est le contraire qui s’est passé. À la fin de ses mandats les trains étaient souvent en retard, du moins quand ils n’étaient pas annulés. Les tarifs étaient prohibitifs, et le confort proposé aux voyageurs autour de Londres digne des bétaillères. En plus les trains desservaient de moins en moins de gares en raison d’innombrables fermetures décidées par le roi Tony.

Des emplois d’enseignants pourvus par des élèves professeurs

S’il est un domaine qui illustre les inégalités en Grande-Bretagne c’est bien l’éducation. L’élite du pays passe par l’enseignement privé qui est inaccessible pour 90 % des habitants. Les autres doivent se battre, tricher, pour tenter d’inscrire leurs enfants dans les meilleurs lycées publics. Pour y remédier le New Labour a usé de mensonges en affichant de nombreuses créations de postes. Des emplois d’enseignants pourvus par des élèves professeurs ou des enseignants du Commonwealth simplement de passage en Grande-Bretagne. Il a aussi réformé l’enseignement professionnel en créant des academies, des lycées professionnels concédés au privé contre monnaies sonnantes et trébuchantes. À charge pour les entreprises qui siégaient au conseil d’administration de former les élèves en fonction de leurs besoins. Grand adepte de la modernité Tony Blair a informatisé à outrance les établissements scolaires en les livrant pieds et poings liés à son grand ami Bill Gates. Au total rien de bien positif, surtout si on ajoute que sa politique a poussé nombre d’étudiants à s’endetter fortement pour s’inscrire dans des établissements recommandés.

Ailleurs cela s’est parfois plus mal terminé

Ce livre a aujourd’hui dix-sept ans et je le trouve prémonitoire. Presque tout ce qu’ont connu les Anglais avec Tony Blair nous le vivons avec Emmanuel Macron. La montée des inégalités, l’effondrement des services publics. Les rustines apportées en guise de solutions, des super infirmiers aux professeurs sous-qualifiés. La décrépitude des réseaux ferroviaires, de la qualité des services à l’envolée des tarifs. L’obsession de vendre le retour au plein emploi qui n’exista pas plus en Angleterre que nous le connaissons en France. Avec d’un coté des tripatouillages statistiques et de l’autre des chiffres gonflés par des contrats d’apprentissage inutiles et payés à prix d’or par l’État. De toute façon dans les deux cas on passe par pertes et profits la qualité des emplois. Ce n’est pas un hasard car les deux hommes relèvent de la même idéologie qui vénère le marché, de la même fascination pour le privé. Du même recours à la bureaucratie, aux discours envahissans. Mais au moins les Anglais n’ont jamais basculé à l’extrême droite. C’est ce que se plaît à raconter Philippe Auclair qui relate un soir d’attentat islamiste à Londres et sa grande fête pour ne rien céder aux assassins. Ailleurs cela s’est parfois plus mal terminé. Après Matteo Renzi en Italie il y eut la Ligue du Nord de Salvini puis Frères d’Italie de Meloni. Après Obama, qui ne reconstruisit pas le tissu industriel américain, surgit Trump. Et chez nous ?

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