Il devait partir sur les traces de Nicolas Bouvier, ce Genevois qui avec son ami Thierry Vernet avait circulé à partir de juin 1953 au volant d’une Fiat Topolino, de Belgrade à Kaboul via les Balkans, l’Anatolie, l’Iran et le Pakistan. Le périple avait donné lieu à un bouquin désormais célèbre, L’Usage du monde, un ouvrage dont il allait se servir pour son contenu et pour son titre. Retardé par le confinement et par la sortie d’un de ses livres, François-Henri Désérable avait reporté son voyage fin 2022. Il aurait pu l’annuler car l’Iran s’était enflammé en septembre 2022 après la mort de Masha Amini, une jeune fille tabassée par la police parce que son voile ne couvrait pas assez ses cheveux. De Téhéran à Ispahan, de Tabriz à Chiraz des jeunes femmes cheveux au vent défiaient le régime. Huit semaines après le début du soulèvement on en était à trois cent quatorze morts. Quand François-Henri Désérable atterrit à Téhéran il est le seul étranger dans l’avion. Il s’est déclaré écrivain et non journaliste pour obtenir son visa. Dans l’auberge où il loge Désérable ne croise quasiment pas d’Européens dissuadés de venir par leur gouvernement. Mais des Iraniens, des Pakistanais et surtout des Afghans dont Habib qui a fui le Kaboul des Talibans pour un Eden perse. C’est dire.
La torture est depuis des siècles monnaie courante dans le pays
Dans la rue la peur qui accompagne les Iraniens depuis quarante-trois ans est toujours là. Mais elle s’efface au profit du courage porté par diverses stratégies : couvrir les affiches du régime, emmener des fers à repasser qui entraveront la course des forces de l’ordre, et surtout se débarrasser de son hidjab. La police et les bassidji, les miliciens des gardiens de la révolution, observent. Pour ceux qui croient à un avenir meilleur, il s’agit de faire tomber le régime pas le gouvernement. Il faut se débarrasser à tout jamais de la théocratie qui les opprime. Le risque est grand pour les révoltés car la torture est depuis des siècles monnaie courante dans le pays. Sous Tamerlan le conquérant venu d’Asie centrale qui fit couper quarante mille têtes pour célébrer la prise d’Ispahan. Pendant le régime du Shah. Et désormais sous la République islamique qui ne manque pas d’imagination de l’arrachage des ongles à l’enfermement dans de minuscules cellules avec une lumière allumée jour et nuit. Et puis il y a le viol et ses dérivés, le bébé qui en découle, et la vidéo postée sur Internet. Quant à la justice mieux vaut ne pas compter sur elle à l’instar de l’histoire qui circule à Téhéran. Celle de l’ancien ministre afghan de la Mer et des Ports qui suscite l’interrogation d’un douanier iranien puisque l’Afghanistan n’a ni mer ni ports. Et alors répond l’homme, vous avez bien un ministre de la Justice.
Les policiers sont parfois de simples fonctionnaires acteurs d’une inénarrable bureaucratie
C’est un voyage iranien en clair-obscur que nous propose François-Henri Désérable. Une traversée qui le met en contact avec la révolte totalement légitime des femmes asservies depuis la prise du pouvoir de Khomeini. Deux générations qu’elles se le coltinent lui et ses successeurs qui ne montrent aucune hésitation pour noyer dans le sang toutes les tentatives d’émancipation. Pour autant l’Iran tel que l’a observé Désérable n’est pas partout à feu et à sang. Les manifestations sont parfois si brèves et si vite réprimées qu’il est possible de passer à côté sans les voir. Ce pays est de toute façon compliqué à saisir. Les règles de politesse poussent les Iraniens à être accueillants, ce qui ne signifie pas qu’il faut nécessairement accepter tout ce qu’ils proposent. Les civilités exigent de multiples échanges pour ne pas transgresser les règles. Les policiers sont certes à éviter en cette période, mais ils sont parfois de simples fonctionnaires acteurs d’une inénarrable bureaucratie, qui fait d’autant moins peur qu’elle est mise en œuvre par des agents en claquettes. Surtout pendant la Coupe du monde de football qui semble être leur principale préoccupation. Ce sport est d’autant plus important que certains s’imaginent ayatollah. Pas pour des raisons religieuses, mais parce que cela signifie pour eux être une star, un peu comme être avant-centre au PSG ou au Barça. Ce n’est pas pour autant que tous les Iraniens s’identifient à leur équipe nationale, même quand elle joue contre les États-Unis. François-Henri Désérable a ainsi regardé le match en compagnie de deux hommes qui se réjouirent de la victoire étasunienne. Qu’on se le dise, contrairement aux mollahs, les Iraniens adorent les Américains. Et ils n’hésitèrent pas à arroser le résultat d’une bouteille d’arak maison. Fuck les quatre-vingts coups de fouet prévus par la loi islamique.
Qu’en dit Bibliosurf ?
https://www.bibliosurf.com/L-usure-d-un-monde-Une-traversee-de-l-Iran.html
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