Palais de justice de Pau, décembre 1945. Au menu du jour : l’enfant du pays Georges Despaux accusé d’intelligence avec l’ennemi de 1942 à 1943 comme chef et membre du Parti populaire français. Le PPF de Jacques Doriot avait été un des principaux partis collaborationnistes et s’était revendiqué anticommuniste, anticapitaliste et fasciste. Ce sont des écrits dans le journal L’Assaut qui motivent le procès de Despaux, des articles où il dénonçait la lèpre juive. On lui reproche aussi sa participation au groupe d’action du PPF où son intelligence détonait. En avril 1944, Despaux eut pourtant droit aux wagons à bestiaux quand les Allemands le déportèrent de Compiègne à Buchenwald. C’est là qu’il allait figer par le dessin l’horreur des masques creusés, des crânes tondus, des côtes saillantes. Mais avant de pénétrer dans le camp de concentration, le train des déportés fit un crochet par la Pologne et s’arrêta à Auschwitz. Juste le temps d’abattre quelques récalcitrants, de doucher, tatouer, tondre, désinfecter au Cresyl les autres, et de croiser Robert Desnos. Ils repartirent en train à Buchenwald et arrivèrent en mai 1944 pour subir les mêmes épreuves qu’à Auschwitz hormis le tatouage. C’est à ce moment que Georges Despaux décida de tout faire pour trouver du papier afin de témoigner en dessinant. Mais qui était donc Georges Despaux ? En 1969 David Vanmolen entreprit de répondre à la question. Le jeune galeriste avait hérité des dessins à la mort de sa mère. Il savait que Despaux avait sauvé la vie de son père Samuel et qu’ils étaient restés amis. La découverte des traits de son géniteur croqués par Despaux le convainquit de partir à la recherche de l’histoire du Béarnais.
On a du mal à interrompre la lecture tant on est saisi par l’intérêt du sujet et la qualité de l’écriture
Qu’est-ce qu’un salaud ? Et un héros ? Peut-on être les deux à la fois ? Avons-nous le droit de trancher ce débat et avec quels arguments ? Ce sont les questions que nous pose Cécile Chabaud à partir d’un cas concret. Celui de Georges Despaux un cousin de sa grand-mère, le secret honteux de sa famille, l’homme dont on ne parlait plus. Mais attention, si l’autrice tire sa réflexion de ce qui s’est passé pendant la Seconde Guerre mondiale, elle ne réécrit pas pour autant l’histoire. Indigne est explicitement dédié à toutes les victimes de l’univers concentrationnaire nazi. Bien davantage enquête que roman, le livre est construit en trois parties imbriquées qui traitent du procès, du séjour dans les camps, et de l’enquête du jeune galeriste qui tente de reconstituer le puzzle. Il y a donc tout pour perdre le lecteur, mais on a du mal à interrompre la lecture tant on est saisi par l’intérêt du sujet et la qualité de l’écriture. C’est qu’on en apprend ou qu’on en retrouve des éléments qui ont façonné la triste période de l’occupation. La veulerie de certains témoignages lors des procès qui ont suivi la guerre. Trop de témoins et probablement aussi de magistrats avaient quelque chose à se faire pardonner. On redécouvre la difficulté de survivre quand tout manquait. Le plus intéressant est toutefois le récit de l’univers concentrationnaire. Un sujet souvent abordé sur ce blog de l’extraordinaire C’est en hiver que les jours rallongent de Joseph Bialot au Nageur de Pierre Assouline.
La composition des détenus avait permis que se constituent des noyaux de résistance
C’est à Buchenwald que Despaux s’est révélé. C’est dans ce camp de concentration qu’il utilisa ses maigres ressources pour aider quelques-uns de ceux qui l’entouraient. C’est là qu’il dessina pour témoigner de la monstruosité des Nazis, et sans doute aussi pour se prouver comme l’avait fait Alfred Nakache en nageant volontairement à Auschwitz, qu’il pouvait encore influer sur sa vie. Certes il existait un degré dans l’horreur entre Buchenwald et Auschwitz. Indigne nous rappelle qu’il tenait plus de ce qu’on ne gazait pas dès l’entrée dans un camp de concentration. Et que la composition des détenus avait permis que se constituent des noyaux de résistance notamment pour les réfugiés français autour du parti communiste. Sinon les déportés vivaient les mêmes horreurs, notamment ceux qui comme Despraux avaient été affectés aux blocs réservés aux handicapés et aux mourants. De retour de captivité, le Palois ne pesait plus que trente-cinq kilos. Fallait-il se saisir de lui pour le juger même s’il n’avait pas commis que de belles choses avant la guerre ? Cécile Chabaud ne répond pas à la question, mais vous seriez bien présomptueux de croire que vous ne changerez pas d’avis après avoir lu son livre.
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« Cher monsieur, je vous remercie infiniment pour ce très bel article. Avec toute mon amitié. »
Cécile Chabaud sur Facebook