Elle est loin de tout, on y accède par une unique route qui vient buter au pied d’une falaise sur un plateau karstique. Seuls quelques champs de trèfle, de patates, de pois chiches et d’oignons envahis par les ronces, les frênes et les charmes, sont encore cultivés dans cette combe. C’est là au milieu d’un village fantôme que se trouve la maison de Jozo Aspic et de ses quatre fils, les seuls à être restés. Les autres fiers brigands et contrebandiers sont partis dans les villes, après avoir pendant des années tranché la gorge des percepteurs ottomans, des géomètres autrichiens, des gendarmes et facteurs yougoslaves. Zora la femme de Jozo est décédée l’an dernier. Elle avait vainement tenté de convaincre son mari d’abandonner les lieux. Elle pleura dix années, se tut pendant trente, elle lui dit alors « tu es une merde » et mourut. Jozo Aspic n’aime personne, et pas non plus ses fils qui ayant hérité de leur mère le dépassent par la taille dès leurs quatorze ans. Jozo s’est un jour battu avec Krešimir son aîné. À la fin on ne comptait plus les fractures mais de l’avis général le fils l’avait emporté.
Cela vaut au salarié d’être accueilli par la fratrie armée jusqu’aux dents
Jozo n’a qu’une passion : cuisiner. Au grand dam de ses enfants il prépare tous les jours de la polenta en variant les recettes. Au fromage, au pâté de foie, à la confiture d’abricots et même au cacao. Ce qui fit dire à un de ses fils : « Bon dieu, avec quelle merde tu l’as épicée ? ». Un jour un salarié de l’Intercommunale d’électricité découvre que les Aspics n’ont plus payé leur courant au moins depuis 1984. Il a surtout l’idée sotte de mettre fin à cette anomalie. Le vieux Nediljko l’avait pourtant prévenu de laisser tomber. Cela vaut au salarié d’être accueilli par la fratrie armée jusqu’aux dents. Nonobstant le dérangement tous les vingt ans d’emmerdeurs qui tentent de leur faire payer leurs factures, on pourrait croire que les Aspics ont trouvé un certain équilibre. Mais de réels manques subsistent à commencer par l’absence de femmes pour les travaux de couture. C’est pourquoi Don Stipan le curé qui veille sur eux conseille à un des frères de se marier. C’est Krešimir qui s’y colle au risque de fragiliser l’équilibre familial car les hommes deviennent faibles quand ils rencontrent l’amour.
Les personnages d’Ante Tomić n’hésitent pas à se battre mais pour de bonnes raisons
Complément barge ce roman croate qui grâce à son humour parvient à faire passer au second plan la violence qui a longtemps irradié le pays. Ici les locaux ne se sont pas battus contre les Serbes pour des raisons ethniques. Les deux armées, chacune dans leurs bunkers, avaient mieux à faire : jouer aux cartes, lire des romans de cow-boys ou péter. Jusqu’au jour où un lieutenant serbe chercha chez les Croates un partenaire pour jouer aux échecs. Or il perdit et s’en suivirent trois jours d’intenses bombardements au mortier. « Ils sont comme ça les Serbes. Ils ne savent pas perdre. ». Les personnages d’Ante Tomić n’hésitent pas à se battre mais pour de bonnes raisons. Et pour cela quoi de mieux que l’amour de celle qui vous a attendu quinze ans, pleurant toutes les larmes de son corps. Cela vaut bien un des plus grands déploiement des forces de police à Split depuis l’accueil par Josip Broz Tito de l’empereur Hailé Sellassié. Ce qui n’est rien par rapport à ce que risque de déclencher l’arrivée de la promise de Krešimir dans la Combe aux Aspics. L’amour dans les Balkans c’est quelque chose !
Qu’en dit Bibliosurf ?
https://www.bibliosurf.com/Miracle-a-la-Combe-aux-Aspics.html
Abonnez-vous pour être averti des nouvelles chroniques !