Après le très réussi Alpinistes de Staline, Cédric Gras nous raconte la suite, l’histoire des alpinistes chinois et c’est au moins aussi bien. Alpinistes de Mao c’est à la fois la conquête de l’Everest au nom du Grand Timonier par des hommes et des femmes qui n’avaient rien de commun avec la montagne. Et la présentation d’un pays entraîné dans l’horreur par une idéologie mortifère. C’est un roman d’aventures qui nous emmène sur les plus hautes cimes de la planète, et le récit de la folie maoïste qui a plongé le pays dans l’horreur. C’est une comparaison implicite entre deux formes d’alpinisme. Celle des Soviétiques mue par des surdoués qui passent entre les mailles du goulag et de la Seconde Guerre mondiale. Et l’alpinisme chinois, entièrement étatique, dont les héros ont subi comme beaucoup d’autres les affres de la Révolution culturelle. Alpinistes de Mao c’est au total une recherche digne d’un historien, magnifiée par un écrivain de talent, qui raconte la fin de la civilisation tibétaine. Une civilisation moyenâgeuse avec ses serfs, totalement inégalitaire, mais qui ne méritait en aucun cas les massacres et les humiliations imposés par les nouveaux maîtres. Les Chinois n’ayant reculé devant rien : ni les morts, ni la destruction des idoles, ni la transformation d’un temple célèbre en porcherie.
Il a été choisi comme les autres au sein du parti communiste bien plus que pour son potentiel de grimpeur
Xu Jing. C’est un des pionniers de l’alpinisme chinois. Naissance en 1927 dans le Liaoning une région plate proche de l’actuelle Corée du Nord. Première photo disponible en 1955 à Moscou quand l’URSS aidait au développement de la Chine de Mao. Ce qui était vrai pour l’économie l’était aussi pour un sport inconnu en Chine : l’alpinisme. En formant les grimpeurs du pays ami les Russes ont une arrière-pensée : accéder eux aussi au sommet de l’Everest qui a été escaladé deux ans plus tôt par « l’impérialiste » Edmund Hillary et le sherpa Tenzing à partir du Népal. Car on peut aussi atteindre le plus haut sommet de la planète par le Tibet qui vient d’être annexé par les Chinois. Xu Jing va participer à cette mission. Il a été choisi comme les autres au sein du parti communiste bien plus que pour son potentiel de grimpeur. « Les experts doivent être rouges avant d’être experts » disait Mao. Les instructeurs russes initient les alpinistes frères dans le Caucase puis au Pamir tadjik. À près de 7 000 mètres d’altitude, Russes et Chinois célèbrent leur union. Ils ont devant eux les derniers sommets inviolés de l’Himalaya. Liu Lianman va en être. Même génération que Xu Jing, il a grandi miséreux en Mandchourie et sera éternellement reconnaissant au communisme de l’avoir extrait de son ancien monde. Avec Xu Jing ils seront dirigés par Shi Zhanchun qui tient sa position de son ancienneté au sein du parti.
Les premières reconnaissances se font fin 1958 avec une expédition lourdement armée pour lutter contre les Tibétains
Les cordées sino-soviétiques débutent leurs conquêtes par deux sommets de plus de 7 500 mètres au Pamir chinois. Plus hauts que les plus hauts sommets de l’URSS. Mais les autorités locales souhaitent s’autonomiser. Elles envoient leurs himalayistes sans les soviétiques à l’assaut du Minya Konka une montagne de 7 500 mètres du Tibet. L’expédition doit faire face aux derniers résistants autochtones qui se sont réfugiés sur les hauts plateaux. Cinq hommes atteignent le sommet en juin 1957 dans des conditions extrêmes, quatre autres sont morts. Nombreux sont les rescapés qui souffrent d’engelures. La suite va s’écrire en commun avec les Russes, car les Chinois ne sont pas mûrs pour dompter l’Everest seuls. Les premières reconnaissances se font fin 1958 avec une expédition lourdement armée pour lutter contre les Tibétains qui se révoltent. Ils ont de bonnes raisons, on leur a fait construire trois cent quatre-vingts kilomètres de pistes à travers les montagnes sans aucun matériel ni explosif. Rendez-vous est pris avec les Soviétiques pour 1959, mais ce sera l’année de la révolte Tibétaine et des massacres commis par les Chinois. Des dizaines de réfugiés sont poussés sur les routes vers l’Inde où le Dalaï-lama les a précédés. La voie tibétaine de l’Everest sera tracée sans les Russes qui vont se brouiller au plus niveau avec les Chinois, et même livrer des avions de chasse à l’Inde tout en les refusant à leur ancien allié.
Il est ensuite envoyé dans un camp à la campagne pour ramasser les déjections humaines à destination des cultures
En 1960 les alpinistes chinois retournent seuls au Tibet avec une expédition de 214 personnes équipées de matériels achetés à l’étranger. Xu Jing et Liu Lianman n’ont que cinq ans d’expérience mais ils ne doivent cette fois plus reculer. Après l’échec du Grand Bond en avant qui a décimé les campagnes, les dirigeants de Pékin ne l’accepteraient pas. Dans l’ultime assaut Xu Jing et Liu Lianman abandonnent. Ce sont trois novices qui accomplissent la mission confiée par le président Mao : le Tibétain Gonpo Dorje et les Han Wang Fuzhuou et Qu Yinhua. Ils déposent au sommet le buste du Grand Timonier ainsi que le drapeau national. C’est du moins la version officielle qui a rapidement été remise en cause à l’étranger faute de photos pour la corroborer et en raison de nombreuses incohérences dans le récit officiel. Trois ans après des grimpeurs américains ont atteint le sommet en venant du Népal sans trouver aucune trace des Chinois. Il est donc probable que la géniale pensée de Mao n’ait pas permis de faire mieux que les Anglais qui avaient presque atteint le sommet de l’Everest dans les années 1920. La suite des conquêtes chinoises de l’Himalaya se fera attendre car tout le pays va s’arrêter avec la Révolution culturelle et ses massacres. Xu Jing est torturé, emprisonné, et s’il utilise du papier hygiénique il devra le rembourser. Au cas où ses bourreaux le fusilleraient ce serait à sa famille de rembourser la balle. Il est ensuite envoyé dans un camp à la campagne pour ramasser les déjections humaines à destination des cultures, et pour repiquer le riz et planter du blé. Il faut attendre 1975 pour que le parti communiste organise une nouvelle expédition pour l’Everest. « La plus grande expédition de tous les temps » selon l’alpiniste Reinhold Messner. La plus idéologique aussi car dans un Tibet définitivement vaincu on y dispense des cours sur la dictature du prolétariat à 7 000 mètres d’altitude. Cette fois plus de doutes, ils réussissent avec une cordée bien plus tibétaine que chinoise, une cordée qui comprend aussi des femmes. Manque de chance, une Japonaise les a précédées depuis onze jours par la voie népalaise.
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