C’est l’histoire d’un monde presque oublié. Celui des ouvriers qui vouaient leur vie à un métier qui les grandissait en dépit des rudesses subies. C’est l’histoire de ceux qui soudaient, pliaient, assemblaient, vissaient, décapaient le métal, et qui réglaient de monstrueux moteurs diesel. C’est l’histoire de solidarités et de fiertés au sein d’un gigantesque établissement de la construction navale. Christian Astolfi qui a travaillé du début des années 70 à la fin des années 80 à La Seyne-sur-Mer nous le raconte comme peu ont su le faire. C’est l’histoire d’espoirs déçus et de trahisons politiques. En 1968 quand le mois de mai s’était terminé par un défilé des droites à Paris sans qu’aucune transformation sociale n’ait été obtenue. Mais surtout en 1983 alors que deux années avant ils avaient été nombreux à fêter la victoire de François Mitterrand. Une nouvelle période allait s’ouvrir, on réinventait le Front populaire. Avant que Delors n’annonce le retour à la « réalité ». La fête était terminée et le gouvernement serrait les vis dans la construction navale comme dans beaucoup d’autres industries. La rigueur allait évacuer les rêves et faire éclater les communautés ouvrières, avec d’un côté ceux qui n’y avaient jamais cru, et de l’autre ceux qui peinaient à justifier la trahison. Mais ce n’était encore rien. Au bord de la Méditerranée un mal sournois allait ronger ceux qui avaient perdu leur travail et leur faire comprendre encore un peu plus qu’ils étaient désormais seuls.
Ici ils sont deux mille à réparer les plus gros bateaux en y consacrant toute leur énergie
Paris mars 2015. Ils sont trois autour de leur collègue en chaise roulante avec ses deux canules d’oxygénation qui lui creusent les narines. Autour d’eux de nombreuses femmes venues en bus ou en train. Tous, anciens ouvriers, veuves et mères, attendent le verdict de la chambre criminelle de la Cour de cassation. Car la plus haute juridiction du pays doit se prononcer sur ce mal qui a jeté sur un eux un voile de malheur depuis plus de vingt ans : celui de l’amiante. Lui c’est Narval, il a commencé à travailler dans les chantiers navals de La Seyne-sur-Mer comme graisseur en 1972. Son père y était encore un ajusteur renommé. Le travail il l’a appris dans cette communauté active depuis 1853, constituée d’hommes tous habillés de la même façon : bleu de travail délavé, casque, gants de cuir, bouchons d’oreilles, lunettes enveloppantes, chaussures de sécurité. Ici on maîtrise ses gestes dans un univers de métal et de graisse et on change de nom. Ici œuvrent l’Horloger, Cochise, Mangefer et d’autres venus d’un peu partout dans le monde méditerranéen et aussi de plus loin. Ici ils sont deux mille à réparer les plus gros bateaux en y consacrant toute leur énergie, surtout l’été quand ils rentrent le soir chez eux le corps vidé. L’année 1981 avec l’élection de François Mitterrand aurait dû être celle de la joie. Elle l’a été mais pour peu de temps car rapidement sont apparues les rumeurs. Celles d’une concurrence implacable des chantiers américains et japonais. Celles des commandes qui ne rentraient plus. Celles de leur monde emporté. Et ce n’est pas de donner quatre années après sa voix au borgne qui allait les protéger.
Qu’en dit Bibliosurf ?
https://www.bibliosurf.com/De-notre-monde-emporte.html
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