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Le blog de Laurent Bisault

Le jeu de la Dame, Walter Tevis, Éditions Gallmeister

Mar 29, 2021 #Gallmeister

Un accomplissement par les échecs. C’est ce que connaît Elizabeth Harmon entre les années cinquante et soixante aux États-Unis. Une histoire peu commune que nous raconte Walter Tevis, écrivain de romans noirs et de science-fiction. Peu commune parce que son personnage principal est une fille, et qu’une fille n’est pas censée jouer aux échecs à cette période. Surtout quand elle est très jeune. On découvre Élisabeth à huit ans au début du roman, quand elle apprend la mort de sa mère dans un accident de voiture, et qu’elle se retrouve orpheline. Direction le foyer Methuen de Mount Sterling dans le Kentucky, avec son dortoir à vingt lits et les calmants obligatoires chaque soir. Shaibel, le factotum du foyer, lui apprend les échecs. Beth est douée. Elle gagne sa première partie. Shaibel la fait progresser, lui offre des livres sur les échecs. Au bout de trois mois Elisabeth comprend qu’il ne pourra plus la battre. Pourtant elle n’a toujours pas neuf ans. Intervient M. Ganz le professeur du club d’échecs du lycée de la commune qui s’incline aussi devant Elisabeth. Alors Ganz obtient de la directrice de l’orphelinat que la petite fille vienne défier les adhérents de son club au lycée. Ils sont en terminale et deux fois grands plus qu’elle. Elle les bat tous sans gâcher un seul coup. Beth a toujours rechigné à prendre ses cachets. Elles les stocke et pioche dans sa réserve en fonction de ses besoins. Alors quand la direction de l’orphelinat met fin à la distribution Élisabeth se retrouve en manque. Elle en vole, et son larcin découvert elle est privée temporairement d’échecs. À treize ans Beth est adoptée par une famille modeste les Wheatley. Elle est bien accueillie par Mme Wheatley mais ne verra quasiment jamais son mari. Elisabeth gagne son premier tournoi en battant le champion du Kentucky. Ses gains sont une bénédiction pour elle, car ils lui permettent d’acheter des livres pour progresser ainsi que quelques vêtements. Ils ouvrent également des perspectives à sa mère adoptive qui se plaint de ne pouvoir boucler ses fins de mois. Les victoires d’Élisabeth attirent l’attention de la presse nationale et lui valent à quatorze ans une interview dans le magazine Life. L’évènement la consacre dans son collège alors qu’elle était jusqu’alors snobée par les filles de bonne famille qui l’entouraient.

Ce combat d’une jeune fille contre les meilleurs ambassadeurs d’un État apparaît pourtant improbable

Nul n’est besoin de connaître toutes les arcanes des échecs, de maîtriser les défenses sicilienne et française, de pratiquer l’attaque Nimzovitch-Rossolimo pour apprécier Le jeu de la Dame. On peut d’ailleurs sauter la description des parties sans perdre le fil du roman. Car son intérêt vient d’abord des folles ambitions d’Élisabeth. Tout d’abord montrer que les échecs ne sont pas réservés aux hommes. Ensuite arriver tout en haut de la hiérarchie mondiale en battant les seuls qui comptent : les Russes. Ce combat d’une jeune fille contre les meilleurs ambassadeurs d’un État apparaît pourtant improbable. Car Elisabeth est seule, seulement aidée par intermittence par un de ses condisciples. Et sa solitude vient de loin, des fêlures de l’orphelinat jamais réparées. Beth doit aussi affronter son addiction pour les calmants et l’alcool. En face se trouvent les représentants d’une longue tradition, jeunes ou vieux, fatigués ou sportifs de haut niveau pratiquant le javelot en plus des échecs. Alors Elisabeth s’accroche et fait fi de la terreur que lui inspirent ses adversaires. Elle surmonte l’angoisse de l’horloge qui décompte son temps pendant les parties. Ce qui lui vaut l’estime et l’admiration de joueurs qui ont tout connu et qui la jugent digne d’appartenir à leur confrérie. Une très belle dame jamais matée et qui surfe vers le mat.

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