C’est à la recherche d’une femme dont Visconti avait dit qu’elle était la plus belle du monde que nous convie Philippe Brunel. Qui était donc Laura Antonelli ? L’actrice sex-symbol des années soixante-dix ? La cocaïnomane de 1990 ? Ou la femme difforme qui s’enferma dans un appartement pour vivre seule ses vingt-cinq dernières années ? Forcément un peu tout cela, et plus encore quelqu’un qui rechercha éternellement le bonheur sans jamais le trouver y compris quand elle était adulée. L’histoire du narrateur avec Laura Antonelli remonte à loin. À l’époque où il l’avait croisée avec un copain de sa boîte à bac. La langoureuse transalpine était depuis longtemps une vedette du cinéma italien, pas encore celui des grands maîtres, plutôt de celui qui faisait des entrées. Il ne savait pas qu’il mettrait des années à la revoir. Ce serait à Ladispoli, au nord-ouest de Rome, dans un appartement monastique où elle avait congédié ses souvenirs dans le reniement du symbole érotique qu’elle avait été. Elle demandait comme Garbo qu’on la laisse seule et avait répondu au journaliste du Corriere della Sera qui lui avait demandé un rendez-vous : « Laissez-moi, n’insistez pas, Laura Antonelli n’existe plus ». Le narrateur qui était mandaté par un producteur de cinéma aurait-il plus de chance ? En tout cas il s’était embarqué en direction de Rome un quinze août, quand la capitale italienne était pliée par le soleil pour la retrouver.
Sa faiblesse venait de ce qu’elle n’avait pas su se mettre à l’abri d’un producteur ou d’un réalisateur
Ce qu’il savait d’elle c’était qu’elle était née en 1942 en Istrie, cette péninsule alors italienne et désormais croate. Laura avait migré à l’âge de deux ans à Naples. Premier film en 1969 Vénus en fourrure, immédiatement censuré, et qui ressortit six ans plus tard sous le titre Venere nuda. Sa carrière était lancée. Cette femme dont les formes nécessitaient tant de tissus pour les cacher allait pendant toute sa carrière se passer de vêtements sur les plateaux. Ce n’était pas son choix, c’était ce qu’on lui demandait. Elle devint véritablement célèbre en tournant Malizia en 1973 dans le rôle d’une domestique qui cédait à son employeur. La scène où on l’avait perchée sur un escabeau en blouse et en guêpière lui valut une notoriété internationale et rapporta six milliards de lires aux producteurs. La Bardot italienne était née. Les sept années suivantes elle les avait passées dans une union passionnée avec Jean-Paul Belmondo, même si disait-on elle le trompait sans modération. C’est aussi la période où elle avait travaillé avec les plus grands réalisateurs italiens : Comencini, Risi, Bolognini et Visconti. Laura Antonelli pourtant n’était pas dupe. Elle savait que son succès serait éphémère, qu’il durerait tant que son physique le lui permettrait. Sa faiblesse venait de ce qu’elle n’avait pas su se mettre à l’abri d’un producteur ou d’un réalisateur. Comme Monica Vitti compagne d’Antonioni, Sophia Loren mariée à Carlo Ponti et Silvana Mangano à Dino De Laurentiis. Dans la nuit du 26 au 27 avril 1991 elle avait été arrêtée à 49 ans pour possession de cocaïne, puis condamnée à une cure de désintoxication en hôpital psychiatrique. La descente aux enfers était entamée. Elle reçut toutefois l’autorisation de tourner Malizia 2000 dix-huit ans après. Elle ne manquait pas encore d’argent, sans doute voulait-elle se réhabiliter. À presque cinquante ans les producteurs la jugeaient encore belle et désirable. Ils la pressèrent d’accepter un traitement antirides par microdoses. Elle finit par accepter et récolta un œdème de Quincke qui lui valut une hospitalisation. « La belle était devenue la bête ». Elle vivra désormais seule sous tutelle de l’État qui lui versera une modeste pension. Même pour acheter une paire de chaussures elle aura besoin d’une autorisation. Par peur de tomber sur un de ses anciens films elle jettera sa télévision qui de toute façon n’était guère conciliable avec son mysticisme. Salvateur ? Ça reste à prouver.