Surbooké

Le blog de Laurent Bisault

Frakas, Thomas Cantaloube, Éditions Gallimard

Mai 25, 2021 #Gallimard

Il faut parfois lire les phrases placées en exergue des romans. Celle de Frakas due à François Fillon affirme « Je dénie absolument que des forces françaises aient participé en quoi que ce soit à des assassinats au Cameroun. Tout cela est de la pure invention ! ». Si l’histoire devait un jour le juger, elle devrait la lui reprocher bien plus que ses enrichissements personnels tant cette affirmation est mensongère. On ne lui en fera pourtant pas personnellement le reproche car elle aurait pu être prononcée par bien d’autres femmes ou hommes politiques, qui s’évertuent depuis des années à réécrire l’histoire de la colonisation française. C’est ce que montre Thomas Cantaloube dans un indispensable roman noir, totalement addictif, héritier de Didier Daenincks et de Tintin au Cameroun. Comme l’avait fait Daenincks dans Meurtres pour mémoire en révélant les Algériens jetés à la Seine en 1961 par les policiers de Papon, Cantaloube dévoile les meurtres de l’armée française au Cameroun Au total probablement 120 000 morts entre 1959 et 1962 quand le Cameroun fut la première des dix-huit colonies françaises à accéder à l’indépendance. Indépendance toute théorique car le but du pouvoir français était de garder ce pays sous tutelle pour en faire le succédané de l’Indochine récemment perdue. Parce qu’il y avait tout au Cameroun, un port maritime, un sol où tout poussait du bois aux produits agricoles, des minerais et du pétrole, avec en plus des dirigeants complaisants. Sur ce dernier point Jacques Foccard grand manitou de la Françafrique veillait au grain. Il avait pu compter pour cela sur d’autres Gaullistes comme Pierre Messmer, administrateur français du Cameroun de 1956 à 1958 qui avait un jour déclaré « Il faudra accorder l’indépendance à ceux qui la réclament le moins, mais uniquement après avoir éliminé politiquement et militairement ceux qui la réclament avec le plus d’intransigeance ». Pour y parvenir l’armée française avait payé son tribut en pourchassant l’Union des populations du Cameroun (UPC) le principal mouvement d’opposition. En assassinant ses dirigeants, en déplaçant les populations, en rasant les villages au napalm, en construisant des camps de concentration, en jouant de la gégène comme en Algérie.

Un nègre en costume c’est comme un éléphant en tutu

La force de Frakas tient aussi à la manière dont est racontée l’histoire. C’est la suite de Requiem pour une République avec les trois personnages que Cantaloube dit avoir préférés. Luc Blanchard, le jeune policier intègre qui a démissionné pour devenir journaliste à France Observateur. Antoine Lucchesi, Antoine Carrega dans l’opus précédent, convoie désormais de la morphine-base entre la Corse et le continent en compagnie d’Alphonse Mukenga son matelot et cuisinier camerounais. Sirius Volkstrom, le manchot laissé pour mort en 1961, qui s’est refait la cerise. Sirius qui n’a qu’une idéologie, sa pomme, est désormais instructeur au sein de l’armée française au Cameroun. Cet aventurier capable de dire que « Un nègre en costume c’est comme un éléphant en tutu », est donc parfaitement à sa place. Nous sommes à Paris en 1962 et Blanchard a bénéficié d’une formation express pour son nouveau métier qui se résume à peu. Tu vas sur place, tu racontes et pour l’écriture c’est sujet-verbe-complément. On lui a attribué un domaine d’action dont aucun de ses collègues ne voulait : les anciennes colonies. Blanchard se fait passer à tabac pour s’être renseigné sur la mort de Félix Moumié opposant camerounais empoisonné à Genève. Le matelot de Lucchesi retourne au pays en emmenant sans le savoir la comptabilité du trafic de son patron. Et les voilà tous les deux partis en Afrique où ils vont se croiser. Ils auront précédemment rencontré pas mal de personnages, Mémé Guérini le boss de la pègre marseillaise, Gaston Defferre son maire et affidé, Jacques Foccard, Monsieur Charles de la maison de Ricard, et comme dans le tome précédent François Mitterrand. La folle cavalcade africaine est lancée, d’abord dans l’hôtel de la belle métisse Lucille, ensuite dans la brousse, à pied, en voiture et même en hélico. Quand vous aurez fini, pour apaiser le sentiment de manque qui ne manquera pas de vous envahir, dîtes-vous qu’un tome trois est en préparation. Ils nous emmènera sur les pas de Lucille en Guadeloupe, un de ses pays d’origine. On en savoure à l’avance.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *