« Un empire financier bâti sur deux générations suffit-il à mettre les descendants à l’abri des tracas de la vie ? » nous demande l’éditrice de Seth Greenland l’excellentissime Liana Levi. On se doute un peu de la réponse parce qu’à quoi bon nous raconter une histoire où tout serait écrit par avance. Mais comme toujours c’est la manière dont on nous la raconte qui compte. Et dans ce domaine Greenland pourrait donner des leçons à bien des auteurs tout en nous disant beaucoup sur l’Amérique contemporaine. Jay Gladstone a tout pour lui. Héritier d’un empire immobilier new-yorkais, ce descendant d’émigrés Juifs venus de Russie a fait prospecter ses entreprises. Père d’une jeune femme issue d’un premier mariage, époux d’une ancienne mannequin naturellement plus jeune que lui et qui en fait rêver plus d’un, propriétaire d’un club de basket de NBA, Jay ne connaît que des ennuis de riche. De très riche. Il soupçonne son cousin Franklin, co-président de son groupe, de détourner de l’argent. Nicole sa femme veut à l’approche de la quarantaine faire un enfant alors qu’il n’en a nulle envie. D’Angello Maxwell dit Dag, star de son équipe de basket exige une revalorisation de son contrat bien qu’il gagne de quoi faire rêver un émir qatari. On pourrait ajouter que sa fille Aviva, qu’il voit assez peu, lui donne quelques inquiétudes maintenant qu’elle vit avec une activiste noire favorable à la Palestine. Pas parce que Jay serait réac. Non en cette année 2012, Jay a tout du libéral, favorable au mariage homosexuel et à l’égalité des LGBT. Mais il craint que l’homosexualité ne rende la vie de sa fille plus compliquée. Fondamentalement Jay Gladstone est un bon gars. Pas du genre à afficher ostensiblement sa richesse. Il finance de nombreux programmes sociaux, perpétuant ainsi l’enseignement de son père.
Dans le combat entre vous et le monde, misez sur le monde
En tant que Juif, croyant mais guère pratiquant sauf pour célébrer en famille les principales fêtes religieuses, il se réjouit de la réussite de ses coreligionnaires. Ce fut d’abord le joueur de baseball Hank Greenberg dont lui avait parlé son père. Puis Bob Dylan, Norman Mailer ou Golda Meir. Mais il abhorre ces cadeaux faits aux antisémites comme Bernard Madoff, ce ganev suprême. Autrement dit voleur en yiddish que Greenland utilise abondamment pour notre plus grand plaisir. Et puis tout part en vrille avec une accusation de racisme. Que sa propre fille reproche aux Juifs d’usurper le statut d’esclave au temps où ils étaient prisonniers en Égypte passe encore. Mais quand on prétend que Jay n’aime pas les Noirs, pardon les Afro-Américains, à un moment où un policier blanc vient d’abattre un Afro-Américain, cela change tout. C’est quelque chose dont on ne se remet pas quand les réseaux sociaux amplifient les réactions. Peu importe que Jay Gladstone soit invité à un dîner qui prépare la réélection d’Obama. Peu importe que la moitié des organisations caritatives de Harlem portent une plaque au nom de Gladstone. Mensch tu ne t’en remettras pas. « Dans le combat entre vous et le monde, misez sur le monde » a écrit Franz Kafka.