Surbooké

Le blog de Laurent Bisault

Le tailleur de Relizane, Olivia Elkaim, Éditions Stock

Oct 7, 2020 #Stock

C’est à une très belle recherche de ses origines que nous convie Olivia Elkaim, déjà croisée dans ces colonnes avec Je suis Jeanne Hébuterne. Elle nous conte l’histoire de sa famille, en commençant par ses grands-parents Marcel et Viviane, deux Juifs de la première génération à s’être assimilée en Algérie avec des prénoms européens. Et qui ne se sont jamais remis d’avoir abandonné Relizane, une ville de l’Ouest algérien en compagnie de leurs deux enfants. Ils s’appelaient Pierre et Jean, prénommés ainsi pour continuer ce qu’avaient entrepris leurs parents, mais Joseph et Moïse dans les registres de la synagogue. Marcel était tailleur dans son atelier, Viviane cousait à la maison pour ses riches clientes. Cela faisait tout juste assez pour s’en sortir même si le talent de Pierre était unanimement reconnu. L’arrivée des enfants fut fêtée comme il se doit dans la famille séfarade de Pierre, notamment par sa mère Mémé Lella, et beaucoup moins par Viviane qui s’en serait bien passée. Leur vie aurait néanmoins dû continuer avec ses difficultés, sous le soleil écrasant et dans des odeurs de couscous-boulettes et de tafina, quand en octobre 1958 Marcel entendit en pleine nuit un camion freiner au pied de son immeuble. L’époque était déjà à la violence, le café du frère de Marcel ayant peu avant été attaqué à la grenade. Alors ce bruit nocturne ne pouvait rien annoncer de bon. Marcel dut suivre l’Indien et ses sbires qui vinrent le chercher de force chez lui. Il n’aurait jamais dû en revenir, chaque nouvelle étape de la violence en réplique d’une précédente, étant marquée par de nouveaux morts. Mais voilà Marcel réapparut quelques jours plus tard en n’osant pas raconter ce qu’il avait vécu. Et cela la communauté française de Relizane ne lui pardonna jamais. Comment d’ailleurs auraient-ils pu puisque ne pas être torturé, assassiné, voire découpé en morceaux signifiait nécessairement avoir pactisé avec l’ennemi. Ce que Marcel n’a jamais voulu raconter, c’est que l’Indien l’avait amené dans le maquis à la demande d’un chef local qui avait besoin de costumes pour rencontrer Boumédiene à la frontière marocaine. Il l’avait fait parce que Amirouche Aït Hamouda, le sanguinaire, surnommé le loup de l’Afkadou, un combattant honni des Français, s’était porté garant de Marcel. Les deux hommes s’étaient côtoyés avant le début des événements quand Amirouche était encore joaillier. Ils prenaient ensemble le thé à la menthe, et Amirouche qui se préparait au combat lui avait dit : « Tu es un homme fidèle, Algérien au-delà de l’Algérie ».

Que les Pieds-Noirs aillent se faire pendre ailleurs où ils voudront

Ce que savait Marcel, lui qui était peu allé à l’école, c’est qu’il était Français par accident, ses quatre grands-parents étant des Juifs indigènes, issus de familles berbères autochtones installées depuis plusieurs générations. Certes le décret Crémieux les avaient naturalisés en 1871 et avaient fait d’eux des colons alors que les Juifs ne cultivaient pas la terre. Mais Marcel n’avait jamais compris pourquoi sa famille avait plus de droits que les Musulmans maintenus sous le régime de l’indigénat. Il aurait aussi pu ajouter que Crémieux ne les avaient pas protégés d’une déchéance sous le régime de Vichy. Tout cela Marcel ne l’avait pas raconté à Viviane qui se ressentait entièrement Française. Avec la montée des violences, la création de l’OAS, Marcel et Viviane décidèrent de partir en Métropole, là où personne ne les attendait. Ils furent rejetés par les locaux qui n’avaient que faire des Pieds-Noirs, et harcelés par les dockers de la CGT à Sète qui leur reprochaient d’avoir fait suer le burnous en Algérie. Les hommes politiques en ajoutèrent une couche, Louis Joxe et Georges Pompidou suggérant aux Pieds-Noirs de s’installer en Argentine ou en Australie. Gaston Defferre ne fut pas en reste en déclarant « Que les Pieds-Noirs aillent se faire pendre ailleurs où ils voudront ». Leur vie fut d’autant plus difficile qu’ils rêvèrent longtemps d’un retour au pays. À la quête de son passé, Olivia Elkaim nous raconte cette belle histoire qui lui en apprend plus sur son origine que les tests ADN qu’elle fait faire. On aurait tort de s’en priver.

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