Jolene. Elle leur avait donné sa voix. À tous ceux qui composaient cette cour des miracles, chinetoques, bougnoules, bamboulas, youpins, gros tas, sacs d’os, Poils de carotte, nabots, avortons. Des gens plus aux normes. Jolene ce n’était pas son nom. On l’appelait ainsi parce que chaque fois qu’elle apparaissait, elle mettait une pièce dans le juke-box et la chanson de Dolly Parton résonnait dans la salle. On a écrit d’elle qu’elle était grande, blonde, des yeux bleus avec une poitrine arrogante, ce qui allait bien avec Dolly qui en connaissait un rayon question protubérances mammaires. En vérité, on avait fini par la trouver belle même si elle n’avait pas de quoi mouler un buste de Marianne d’hôtel de ville. Sa mère était femme de ménage, une de celles qui ne prennaient jamais de vacances, tout en rêvant du Sud parce qu’elle faisait confiance à Nino Ferrer. Son père s’était mis à boire mais il repeignait la Tour Eiffel alors ta gueule. Quand il perdit son travail il passa ses journées dans le rade en bas de chez lui, jusqu’à qu’on ne comprenne plus ce qu’il disait parce qu’il avait des problèmes avec les consonnes. Jolene retourna à l’école et ne fut plus rien. Son instit tenta de l’aider, en vain puisqu’elle n’avait besoin que d’une chose : son papa. Au collège, elle fut transparente. On ne la voyait pas, on ne lui parlait pas. Et Albert est arrivé un soir avec sa mère. Il les aidait pour le loyer. L’Albert elle a jamais pu le sentir. À presque 18 ans Jolene eut une semaine pour trouver un boulot et un appartement. Elle passa quinze ans sur les marchés, toujours à dépanner, pas assez souriante pour qu’on la garde, à nettoyer la vaisselle avant de trouver un emploi de caissière. Au moins c’était au chaud et elle était assise.
C’est la chanson de Dolly Parton qui avait attiré son attention
C’est un soir d’averse qu’elle est rentrée chez nous, dans ce qui n’était encore qu’un hôtel. Le patron on l’appelait Jésus. Il avait écrit sur un panneau « Aimez-vous les uns les autres », et il portait une grande barbe. Il y avait des affiches des Beatles, des Doors, de Little Richard. L’histoire de Jolene nous est racontée par un musicien dont la carrière a débuté à la fin de la guerre du Vietnam et qui avait eu du succès. Il s’était fait appeler Wild Elo parce que c’était la mode des noms américains. Il avait joué dans l’hôtel puis y était retourné des années plus tard quand les concerts avaient cessé. Il avait pris une chambre, la douze, et s’y était installé. Il y avait ce couple de retraités qui avaient passé leur vie à se manquer. Marcel l’ancien boxeur plombier, Annie qui ne voulait pas prononcer une phrase qui l’avait déjà été. Bonnie and Clyde et quelques autres. Jolene il ne l’avait pas remarquée, c’est la chanson de Dolly Parton qui avait attiré son attention. Et puis un jour Jolene avait repris l’employé du gaz venu relever le compteur. Elle l’avait prié de revenir le lendemain en commençant par dire bonjour. Parce que dans cet hôtel on disait bonjour qu’on soit client, patron ou représentant avait-elle précisé. Elle avait décidé qu’ils ne seraient plus jamais des moins-que-rien.
Bonne pâte Jésus leur facilite l’existence en inventant le velours des Carpathes
Requiem pour une apache est un livre qui vous tombe sur la tête sans que vous l’ayez vu venir. Il y a la langue de Gilles Marchand, quelque chose de vraiment pas commun mais pas pour autant artificiel. Ils sont peu nombreux à y parvenir, David Lopez dans Fief, quelques auteurs de romans noirs, Boudard dans L’étrange Monsieur Joseph également. Et puis les personnages. Des pseudo gilets jaunes, tous plus au moins cassés, qui n’auraient pas envie de bloquer les ronds-points mais d’accéder à une vie paisible. De construire leur Arche de Noé. Bonne pâte Jésus leur facilite l’existence en inventant le velours des Carpathes. Quelque chose de fort et doux à la fois, avec du citron vert, du sirop de gingembre dont il n’avait jamais su que faire, et une bonne dose de vodka. Jésus fait payer ses clients en fonction de leurs possibilités. Certains ont de l’argent et ne rechignent pas à le donner. D’autres logent gratis. Tous préparent le petit-déjeuner quand ils sont les premiers levés. Le parti des jeanaimarre a choisi et accepté ses règles. Gilles Marchand en est à son quatrième livre publié aux Forges de Vulcain. Il est rédacteur au Who’s Who. Classieux le mec. Également batteur dans plusieurs groupes de rock, il accorde une grande place à la musique dans son récit. On y croise Janis Joplin, Tommy des Who, California Dreamin’ des Mamas and the Papas, Lucille de Little Richard, les Doors, Twist and Shout des Beatles ainsi que Smoke on the Water de Deep Purple. Il n’y a que du bon chez ce garçon. Alors si vous n’avez pas assez de temps pour lire tout ce qui vous fait envie, vous savez désormais par quoi commencer.