Surbooké

Le blog de Laurent Bisault

L’imposteur, Javier Cercas, Éditions Actes Sud

Déc 1, 2017 #Actes Sud

Dans la vraie vie Enric Marco était un simple mécanicien catalan qui avait vécu une vie ennuyeuse. Vaguement combattant en 1936 au début de la guerre civile. Rapidement défait, il rentra dans le rang. Nul ne saurait lui en faire le reproche. Surtout pas nous qui avons eu la chance d’éviter ces périodes monstrueuses. Mais après quarante années passées dans l’anonymat de son garage, Marco eut envie de lumière, de célébrité, de satisfaire un incommensurable narcissisme. Alors il s’inventa une histoire. Car si Enric Marco avait un don c’était bien celui-là. Celui de charmer, de berner, de convaincre, de séduire grâce à un entregent à nul autre pareil. Enric Marco surfa sur l’incapacité de l’Espagne à décrypter son passé franquiste, sur le refus des Espagnols de savoir ce qui s’était réellement passé pendant ces années de plomb. Enric Marco décréta qu’il avait fui Barcelone pour échapper aux persécutions de la police franquiste. Réfugié à Marseille, il aurait été arrêté par la Gestapo et déporté en Allemagne, dans le camp de concentration de Flossenburg en Bavière. Seule une volonté de fer, même devant ses bourreaux, lui avait permis de survivre. Mais en réalité, Marco avait volontairement quitté son pays pour travailler dans l’industrie allemande qui recherchait des bras qualifiés pour soutenir l’effort de guerre. Ce voyage offrait une réelle opportunité de revenir au pays avec un petit pécule. Il ne séjourna donc pas en Bavière mais à Kiel près du Danemark. Son bref séjour en prison ne fut qu’accidentel et ne corrobore en rien des actes de résistance. Le choix de Flossenburg était plutôt habile car peu d’Espagnols y étaient passés et aucun survivant ne pouvait réfuter son récit. Car ses compatriotes déportés avaient presque tous été envoyés à Mauthausen. À la mort de Franco, les forces syndicales se reconstituèrent en Espagne. La Confédération nationale du travail (CNT), issue d’une tradition anarchiste, avait vocation à redevenir une des plus fortes. Ce mouvement se déchira pourtant entre ses leaders historiques qui avaient survécu en exil à Toulouse et les jeunes recrues. Un conflit de génération autant qu’un conflit idéologique. Bien que n’ayant nullement participé à la survie du syndicat sous Franco, Enric Marco sut s’imposer comme la seule personne apte à réconcilier les deux tendances. Nommé secrétaire général, il fut rapidement déchu. Non pas en raison de son passé mais parce que la réconciliation des deux courants de la CNT n’était pas durable. Marco s’investit alors dans la gestion d’une puissante association de parents d’élèves en Catalogne en séduisant ses proches par sa disponibilité et son travail. Il sut s’imposer comme président de l’Amicale de Mauthausen, parcourant le pays pour raconter aux jeunes générations l’Holocauste. En juin 2005, Enric Marco s’apprêtait à se rendre à Mauthausen en compagnie du Premier ministre espagnol quand un historien révéla que tout ceci n’était qu’inventions. Marco ne s’effondra pas. Il continua à expliquer qu’il avait agi pour soutenir de justes combats. Ce qui n’était pas entièrement faux.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *