Surbooké

Le blog de Laurent Bisault

Hellfire, Nick Tosches, Éditions Allia

Juin 15, 2020 #Allia

N’en doutons pas. Si Pierre de Coubertin avait agrémenté ses Jeux olympiques d’une épreuve réservée aux cinglés, aux excités du bocal, aux déglingos, alors Jerry Lee Lewis aurait un jour décroché une médaille. Jerry Lee Lewis, né à Ferriday (Louisiane) en 1935, chanteur de rock, de country, de boogie-woogie, de blues, de gospel et de toutes sortes de musiques nées dans le Sud des États-Unis. Jerry Lee Lewis, surnommé « The Killer » tant il déménageait sur scène comme dans la vraie vie. C’est du moins ce que nous laisse à penser Nick Tosches dans l’excellente biographie qu’il consacre à ce pionnier du rock’n’roll. Une bio qui nous explique que tout ce qui allait forger la réputation de Jerry existait déjà dans sa famille. La musique, la religion pentecôtiste, l’alcool, la transgression, le côté délicieusement réac à même de faire passer Donald Trump pour un gaucho, Jerry n’a rien inventé. Elmo, son père, qui grattait sa guitare dans les églises, avait fréquenté les pénitenciers pour avoir fait fonctionner illégalement sa distillerie. Et il ne fut pas choqué quand son voisin de cellule lui déclara qu’il comptait aller vivre dans la vallée du Rio Grande, parce que la loi locale autorisait un homme à descendre sa femme si elle le trompait. Jerry avait donc de bonnes bases qu’il fit fructifier. À 14 ans il donne son premier concert dans une concession Ford. Pas vraiment parce qu’il y avait été invité, mais parce qu’il s’impose, martyrisant le piano de ses mains et de ses pieds comme il le fera pendant toute sa carrière. Il récolte treize dollars auprès du public, une somme énorme pour celui qui tirait l’essentiel de ses ressources de menus cambriolages. Pour ses copains de lycée, il est déjà « The Killer », celui qui emporte tout. À 15 ans, Jerry est une célébrité locale qui écume les concours pour amateurs, mais qui hésite encore entre les boîtes de nuit et son rôle de prédicateur. Mais sa fréquentation de l’Institut biblique du Sud-Ouest dans le comté d’Ellis au Texas, où il avait envisagé de vouer sa vie à Dieu, n’a qu’un temps. Même en faisant le mur, pas de boîtes de nuit ni de femmes déboutonnées. Alors Jerry pousse jusqu’à Dallas pour retrouver la vraie vie. Cela lui vaut l’exclusion et ne l’affecte pas plus que cela. À seize ans, Jerry rencontre Dorothy Barton et l’épouse. Son appétence pour le mariage ne va pas se calmer, sept au total dont un de trois jours, mais celui-ci est singulier. C’est non seulement le premier, mais surtout Dorothy a un an de plus que lui. Par la suite, Jerry choisira des filles plus jeunes. Beaucoup plus jeunes.

1954, grande année avec l’invention du rock’n’roll

Le mariage c’est bien beau, mais ça emmerde profondément notre chanteur. Alors il sort histoire de renouer avec la vraie vie. À 17 ans, il rencontre Jane Mitcham, couche avec elle, et apprend quelque temps plus tard que sa semence a pris en elle. Il refuse de l’épouser arguant qu’il est déjà marié. Pas de bol, les frères de Jane débarquent armés de fouets et de pistolets. Alors Jerry répare en épousant Jane ce qui fait de lui un bigame. Il régularisera plus tard. 1954, grande année avec l’invention du rock’n’roll. Cette musique existait déjà sous d’autres noms, mais surtout, c’était une musique pour les Noirs. Bill Halley et davantage encore Elvis Presley dans le studio Sun de Memphis révolutionnent l’industrie du disque. La porte s’ouvre pour Jerry et il compte bien en profiter. Il migre à Nashville (Tennessee) avec toujours la même proposition de se mettre à la guitare. Et toujours la même réponse de Jerry : « Vous pouvez prend’ vot’ guitare et vous la fourrer dans l’cul ». En 1956, il enregistre chez Sun, succédant ainsi à Presley. La course-poursuite entre les deux pionniers du rock est lancée, mais Elvis a pris de l’avance. Énorme succès en 1957 pour Jerry Lee Lewis avec Great Balls of Fire qu’il chantera pendant toute sa carrière, et dont les paroles attestent de la qualité littéraire du personnage : « Tu secoues mes nerfs et tu racles mon cerveau. Trop d’amour rend un homme fou. Tu casses ma volonté, oh quel tressaillement. Gracieuses belles balles de feu de qualité ». Jerry s’en fout, le public adore.

This Man doesn’t play Rock’n’Roll. He is Rock’n’Roll!

Tout est en place, il engrange un max d’oseille, les tournées se multiplient jusqu’à celle qui le mène à Londres. Et là la tuile, quand un journaliste anglais découvre que Jerry vient d’épouser la petite Myra Lee, treize ans, fille de son cousin Jim. La tournée est interrompue. Retour vers les States. En 1958, notre pionnier n’est pas cramé puisqu’il est convié à un concert intitulé The Big Beat à Brooklin aux côtés de Chuck Berry, Buddy Holly et d’autres célébrités. Problème, l’usage veut que le dernier à entrer en scène soit le plus connu. Comment départager Chuck Berry et Jerry Lee Lewis ? Jerry cède mais après avoir chanté Great Balls of Fire, il sort une bouteille d’essence, fout le feu au piano, avant de dire à Chuck Berry : « Assure après ça négro ». Fallait pas trop le chauffer le Jerry. Sa carrière continue, avec des hauts et des bas. Il gagne énormément d’argent et en crame au moins autant. Il boit, prend des amphets, survit à la mort de ses deux fils, et demeure insubmersible. En 1977, Elvis disparaît et avec lui la concurrence entre les deux pionniers. Presley, c’était le produit marketing, Jerry du 100 % naturel. On n’a pas dit bio. N’exagérons rien. Presley prenait autant de cachetons que Jerry mais en loucedé, et quand il se mit en ménage avec une petite de quatorze ans, personne n’en sut rien. Aujourd’hui, Jerry Lee Lewis est toujours vivant et Bruce Springsteen dit de lui en 1955 : « This Man doesn’t play Rock’n’Roll. He is Rock’n’Roll! ».

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