Quatrième et ultime volume de la saga de Catherine Bardon. Cette histoire d’un couple de Juifs viennois qui parviennent à quitter l’Autriche en 1938 pour atterrir en République dominicaine, le seul État qui les a acceptés. Le récit aurait pu être terrifiant, il est pétri d’espoir, de plaisir et de sensualité. Dans le kibboutz qu’ils ont créé alors que rien ne les prédisposait à devenir paysans, puis dans leur communauté qui s’est ouverte sur les Dominicains. Leur fille Ruth y grandit avant de partir à New York dans le tome 2 et de revenir dans son île dans le troisième. Les Déracinés ont été une fabuleuse découverte comme on en connaît peu en littérature. La lecture de L’Américaine et de Et la vie reprit son cours a perpétué ce plaisir sans doute à un moindre niveau. Un invincible été renoue avec l’incroyable réussite du premier volume. Probablement parce que ce dernier tome est celui du souvenir et des racines. Catherine Bardon nous livre ses secrets dans sa postface. « Ne cherchez pas à savoir où est la réalité et où est la fiction. Car dans cette histoire, tout est vrai ». Ou du moins a-t-elle à peine changé la vie de personnages qui sont vraiment venus se réfugier à Sosúa. Elle nous invite d’ailleurs à en faire un peu plus que les hordes de touristes qui déferlent désormais sur les plages de la République dominicaine. À venir voir la synagogue créole, le petit musée juif qui ouvre erratiquement. Et tout autant la nature qui accueille encore les baleines à bosses en dépit du changement climatique.
Nous sommes en janvier 1980 et Gaya se prépare pour sa quinceañera, la fête de ses quinze ans
Dans ce dernier volume nous suivons Ruth de 1980 à 2012 l’année de la mort à 100 ans d’Almah la « matriarche » de la tribu. En 1980 Ruth a 40 ans, et elle est encore secouée par la mort de son amie d’enfance Lizzie qu’elle n’a pas réussi à protéger de sa folie. Son troisième enfant Tomás est en route et sa fille Gaya se prépare pour sa quinceañera la fête de ses quinze ans. Les robes de soirée sont de sortie, les costumes ont été changés pour s’adapter aux corps qui ont épaissi. Ils sont tous là dans le plus bel hôtel de Puerto Plata au nord de l’île. Tous ceux qui composent la tribu y compris les Américains, sous le regard bienveillant d’Almah qui est plus que jamais l’âme de la tribu. On valse en hommage aux racines viennoises de la famille, on mange des canapés en buvant du champagne, puis on passe au be-bop et au mérengué parce que le localisme ça a aussi du bon. On regretterait presque que le rhum soit dédaigné, mais Almah aime tellement le champagne. La famille Rosenheck-Soteras va s’enrichir grâce aux hectares de terres acquis par Frederik. Non pas pour ses vaches laitières qui alimentent la florissante coopérative mais pour le tourisme. Frederik a perçu avant les autres le potentiel de leur bout d’île à portée de main de l’aéroport. On le croit sans difficulté quand on fait un tour sur le compte Instagram de Catherine Bardon où figurent des paysages paradisiaques.
Almah ne veut pas entendre parler. Comme elle ne veut pas retourner à Vienne, car son pays c’est celui où elle vit
Comme dans les tomes précédents, Catherine Bardon fait défiler l’actualité. Ses personnages la vivent parfois de façon distante comme pour la mort de John Lennon, et le plus souvent dans leur chair de la chute du mur de Berlin aux attentats du World Trade Center et au tremblement de terre d’Haïti. Le roman est constitué de courts chapitres écrits à la première personne dont Ruth est la narratrice. Elle vit avec dépit le départ de ses enfants, Gaya sa fille aînée qui s’en va aux Galápagos étudier la faune et David happé par la finance américaine. Les Rosenheck sont confrontés au retour du passé familial avec la reconnaissance par l’Autriche de sa responsabilité dans l’Holocauste. Cela ouvre la voie à une indemnisation versée aux survivants ou à leurs enfants comme l’avait fait l’Allemagne depuis longtemps. Cela représente 5 087 euros par personne comme si un chèque pouvait effacer l’histoire. Almah ne veut pas en entendre parler. Comme elle ne veut pas retourner à Vienne, car son pays c’est celui où elle vit, où elle s’est toujours sentie en exil, mais en-dehors duquel elle le serait. Le retour aux sources de Ruth et Gaya se fera sans elle. Avec plus de gêne que de plaisir malgré Le Prater, les cafés et leur vie intellectuelle, la ville juive que l’on appelait l’îlot de pain azyme, la bière de Styrie et la linzertorte. Vienne leur semble être une ville où plane le spectre de l’ultradtroite, avec des tags homophobes et juste ce qu’il faut de repentance pour paraître correcte.
Le compte Instagram de Catherine Bardon
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