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Le blog de Laurent Bisault

Et ils dansaient le dimanche, Paola Pigani, Éditions Liana Levi

Sep 8, 2021 #Liana Levi

C’est un indispensable souvenir que nous offre Paola Pigani. Celui des ouvrières lyonnaises des années qui ont précédé le Front populaire. Comme souvent dans ses écrits Paola Pigani s’attache aux femmes venues d’ailleurs, peut-être parce que sa famille installée dans le Poitou est originaire d’Italie. Et ils dansaient le dimanche c’est l’histoire de la Sase, la Soie artificielle du Sud-Est, la première usine française à fabriquer de la viscose. La production avait débuté en 1904 à Sárvár en Hongrie, et à la fermeture de l’usine en 1927 elle avait migré à Vaulx-en-Velin à côté de Lyon. Ses propriétaires MM. Gillet et Chatin ont alors cherché la main-d’œuvre servile qui manquait, dans les plaines magyares et en Pologne. Comme l’époque s’y prêtait de nombreux Italiens sont aussi arrivés à Lyon pour fuir le fascisme. Cette immigration spontanée les contraignait à se débrouiller pour vivre en dehors des usines, dans des bidonvilles plutôt que dans les logements mis à disposition par le patronat. Au-delà de la Sase le roman raconte la vie ouvrière, les soixante heures hebdomadaires, le retard d’une minute au pointage tarifé un quart d’heure, le travail imposé le dimanche quand le besoin s’en faisait sentir. Pour les salaires mieux valait être un homme qu’une femme, un Français qu’un Étranger. Il fallait faire avec les ordres des petits chefs.

La vie ouvrière est aussi faite de solidarités entre les femmes

À la Sase on ventilait rarement les ateliers alors qu’on respirait des vapeurs de soude et d’acide dont la nocivité était officiellement contrecarrée par des distributions de lait. Et il y avait pire. Dans l’usine pyrotechnique de Décines, les explosions se multipliaient au point que les ouvrières étaient parfois brûlées vives. Mais la vie à l’usine était aussi faite de solidarités entre les femmes, contre le patronat, contre les hommes, et contre le racisme particulièrement présent dans des communes habitées par 50 % d’immigrés. Décines était ainsi le fief des Arméniens, ceux qu’on appelait les « ian ». Le dimanche avait une place essentielle dans la vie ouvrière puisque les congés payés n’existaient pas encore. On s’éloignait des cités apparentées à l’usine, on migrait dans le parc de la Tête d’or, dans l’île Barbe ou plus loin vers la Saône. On désertait parfois la messe pour monter dans le tramway et découvrir la ville. Place aux bals, à la musique, à la danse et au cinéma en espérant trouver celui ou celle avec qui on vivrait. Les Français avaient un gros avantage pour séduire les jeunes immigrées, ils leur apporteraient leur nationalité en cas de mariage.

Les temps s’annoncent difficiles avec des licenciements

Le récit se concentre sur une jeune hongroise Szonja et sa cousine Márieka qui arrivent en train à Lyon depuis Budapest. C’était le prix à payer pour échapper aux travaux des champs, pour ne pas passer sa vie à gaver les oies, pour ne pas se contenter d’une unique robe par saison. Szonja et Márieka dix-sept ans atterrissent dans le foyer des sœurs du Très-Saint-Sauveur. Elles bénéficient chacune d’une chambre dont le prix est prélevé sur leurs salaires. Elles ne savent pas encore que les religieuses vont contribuer à leur manière à faire d’elles de dociles ouvrières. Ici pas de baisers derrière les buissons et le dimanche tout le monde à l’office. Le curé est avec les patrons, il ne s’agirait pas de se faire remarquer. Mais la messe c’est aussi un moment pour rencontrer des garçons avec d’autres vêtements que ceux qu’on porte à l’usine. Szonja se lie d’amitié avec Elsa une Italienne avec qui elle partagera les spécificités de sa communauté, la focaccia, le riso rosso et les gâteaux aux raisins secs. Elsa est une femme capable de lui passer un bâton de rouge pour qu’elle se fasse una bocca di gioa, une bouche de joie. Pour ces deux ouvrières comme pour les autres les temps s’annoncent difficiles avec des licenciements, des réductions d’horaires et des baisses de salaires. Pire encore les ligues d’extrême droite se font menaçantes. Mais les ouvriers n’ont pas dit leurs derniers mots. Ensemble ils pourront beaucoup. Encore une très belle réussite éditée par Liana Levi.

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