Il y a des livres dont les premières pages vous assurent que vous irez au bout de votre lecture. Vies dérobées de Cinzia Leone en fait partie. Ce roman construit sur le thème de l’identité est une petite merveille. Il vous fait voyager de 1936 à 1992 entre la Palestine, la Turquie, les États-Unis, l’Italie et Israël. Le récit se déroule en trois étapes et démarre sur un mensonge. Celui que le Turc Ibrahim Özal commet en accaparant l’identité du Juif Avraham Azoulay avec qui il est en affaires. Son acte va bouleverser sa vie et celle de sa famille. Il va aussi influer sur l’existence de l’Italienne Esther Giusti cinquante années plus tard. Pour nous conter cette saga la Romaine Cinzia Leone introduit une étape intermédiaire qui met en scène le personnage de Giuditta, une jeune fille qui traverse la seconde guerre mondiale entre Ancône et Rome. Totalement addictif, le roman est l’égal des meilleures réussites de Luca Di Fulvio comme Le gang des rêves ou Les prisonniers de la liberté. Au point qu’il faudra un jour s’interroger sur ce que les auteurs italiens ont en plus. Le roman s’interroge longuement sur ce que signifie être Juif sans jamais imposer une réponse. Car ses personnages auraient bien du mal à répondre à la question. Le livre parvient à parler avec espoir de l’insoluble question des rapports entre Musulmans et Juifs. Journaliste, illustratrice, Cinzia Leone en est à son troisième roman et à son deuxième prix littéraire en Italie. Assurément une autrice à lire ! Une de plus chez Liana Levi.
Ibrahim Özal demeurera-t-il Musulman à l’instar des Dömne ?
Par le passé Avraham Azoulay avait toujours réussi à s’enfuir, mais cette fois il n’en a pas le temps. Alors qu’il avait échappé aux pogroms d’Odessa, il est tué à Jaffa en 1936 avec sa femme Myriam et leur fille Havah. Ils sont battus à mort dans leur maison. Leur nom s’éteint. Musulman turc, Ibrahim Özal a tout entendu. Il récupère le contrat qui lui donne 10 % de l’affaire d’Azoulay dans le négoce du coton Karnak Ménoufi, la fleur du coton égyptien. Il ramasse aussi les passeports des défunts. Ibrahim Özal a déjà fait faillite par le passé à Istanbul, il ne s’agirait pas de tout perdre à nouveau. Il s’enfuit avec sa femme Myriam et leur fille Yasmine pour Istanbul via Rhodes. Özal décide de se faire passer pour Azoulay et de récupérer le coton auprès de son fournisseur un Copte d’Alexandrie. Mais comment assumer cette nouvelle identité ? Ibrahim Özal demeurera-t-il Musulman à l’instar des Dömne, ces Juifs convertis à l’islam dans l’empire ottoman et qui avaient continué à vénérer en secret leur Dieu ? Ferra-t-il comme les Marranes, convertis de force au catholicisme par l’Inquisition mais qui n’avaient pas abandonné leur foi ? Özal décide de se couler entièrement dans la personnalité d’Avraham Azoulay. Être circoncis était un premier atout. Restait à assimiler les nouveaux rites religieux. Mais il fallait aussi que sa femme se transforme en une Juive diaphane d’Odessa et qu’elle trahisse son identité. En attendant de se rendre en Égypte, le couple s’installe à Djerba où réside une importante communauté juive.
Giuditta est en train de devenir juive par contrainte
Ancône. Giuditta dix-sept ans et son frère Tibia dix-neuf viennent d’être exclus du lycée. En 1936, les fascistes italiens n’aiment pas les Juifs et pas davantage les anarchistes comme leur père qui est régulièrement tabassé et gavé d’huile de ricin. Il est cette fois envoyé douze mois en relégation dans une petite île au sud du pays alors que sa femme se meurt d’un cancer. Avant de partir le père donne en cachette à ses enfants une boulette de papier qui comporte trois noms et autant de numéros de téléphone. Le premier est celui d’un sénateur juif qui accueille et embauche les deux jeunes gens à Rome comme femme de chambre et comme coursier. Quand le sénateur décède en 1940, ils migrent à Ostie à la rencontre du deuxième nom de la liste. Cela leur vaut une embauche dans le Ghetto de Rome comme cordonnier pour Tibia et chez un marchand de boulons pour Giuditta. Mais elle n’y reste pas pour éviter de se faire tripoter par son patron. On la retrouve bonne d’enfants chez la famille Della Seta qui peine à vivre de son commerce de statuettes chrétiennes, une activité désormais interdite aux Juifs. Elle retourne avec son frère à Ancône en 1943. Giuditta s’est toujours sentie juive par hasard, elle est en train de le devenir par contrainte.
Esther a toujours mangé du porc et pas seulement de la bresaola
Rome 1991, Esther trente-six ans, divorcée, accepte de rencontrer Ruben Pardes qui souhaite l’épouser. Cet avocat quadragénaire lui propose un contrat de mariage qu’il juge idéal, tout en ajoutant que l’amour viendra après. Peu importe que le père décédé d’Esther ne fût pas juif puisque sa mère Giuditta l’est. Pardes sort d’un mariage avec une Polonaise catholique qui s’est peu à peu transformé en fiasco. Esther a été élevée dans la religion catholique, mais sa mère ne lui a rien imposé comme à ses autres enfants. Esther a toujours mangé du porc et pas seulement de la bresaola comme ses cousins, toute Cohen qu’elle fût du côté de sa mère. Dans sa famille on célébrait les fêtes juives et catholiques ce qui la faisait douter de son identité. Qui était-elle vraiment ? Petite elle avait frappé une camarade de classe qui rejetait les Juifs. Mais adulte où se situait-elle ?
Grazie!!!!!! Grazie da Ibrahim e da Avrahàm. Grazie da Miriam, da Giuditta e da Ester. Grazie dall’autrice commossa…
Cinzia Leone