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Le blog de Laurent Bisault

Et si on parlait pouvoir d’achat ?

Mar 22, 2022

Question : le quinquennat d’Emmanuel Macron est-il comme il aime à le dire celui du pouvoir d’achat ? Réponse : à des degrés différents selon les revenus des Français, sous réserve que le calcul soit correct ce qui est loin d’être facile. Pour expliciter ce point de vue je m’appuie sur les travaux de l’OFCE publiés ce mois de mars 2022 et disponibles ici. L’OFCE est un centre de recherche de Sciences Po, une structure indépendante dont les membres sont généralement considérés comme favorables aux interventions publiques dans l’économie. Plusieurs d’entre eux ne cachent pas leur proximité avec la gauche, mais l’OFCE n’a à ma connaissance jamais pris position pour un parti ou un candidat à une élection. Le calcul du pouvoir d’achat se fait à partir du revenu disponible brut des ménages. Un concept de comptabilité nationale où figurent les revenus d’activité, salaires et revenus non salariaux, de la propriété comme les intérêts et les dividendes, et les revenus fonciers. Entrent dans cette catégorie les loyers encaissés et les revenus fictifs que se verseraient les propriétaires s’ils se louaient à eux-mêmes le logement qu’ils occupent. Ce qui prouve au moins que les comptables nationaux aiment mieux faire compliqué que simple. Interviennent également dans le calcul du revenu disponible brut les prestations sociales de tout type auxquelles on a soustrait les cotisations sociales et les impôts. Problème, l’examen de cette masse globale n’a qu’un intérêt limité car les Français sont de plus en plus nombreux. Alors on la rapporte au nombre d’habitants en considérant que les adultes comptent plus que les enfants. On aboutit à ce qu’on appelle le revenu par unité de consommation. Nouvelle difficulté, comment faire pour agréger des revenus sur plusieurs années sachant que les prix évoluent ? On les ramène à une même période en les divisant par un indice des prix. Ça paraît aller de soi, mais on verra que c’est plus complexe qu’il n’y paraît. Au total ça donne quoi ? Patience on y arrive. Ne vous plaignez pas, la lecture de la note de l’OFCE serait plus longue encore.

François tu peux te cacher !

Macronistes vous pouvez bomber le torse. La progression du pouvoir d’achat a, selon les calculs de l’OFCE, été plus forte sous le quinquennat Macron que sous ceux de Hollande et Sarkozy. Il y a eu mieux, quand Jospin était Premier ministre, mais ça commence à dater. Si on parvenait à identifier le Français moyen, un personnage fictif qui n’a rien avoir avec le Beauf de Cabu, il aurait eu droit à une progression de 0,95 % par an de son pouvoir d’achat sur le mandat de Macron. Soit 300 euros chaque année. Sous Hollande c’était 0,1 % et 0,2 % sous Sarkozy. François tu peux te cacher ! Comment l’expliquer ? Principalement par les baisses d’impôts et de cotisations sociales pratiquées par Macron alors que Hollande les a augmentés. Les décisions prises sur les revenus du capital, baisse de l’ISF et flat tax, ont moins influé que les impôts sur le pouvoir d’achat moyen pendant le quinquennat Macron, parce qu’elles n’ont profité qu’à un petit nombre de personnes. Au total nous dit ici Éric Heyer, le quinquennat Macron s’est traduit par un accroissement de la dette publique qui est passée de 3 % à 5 % du Pib. C’est exactement le contraire auquel on avait assisté sous Hollande qui avait en plus choisi un partage des richesses très favorable aux entreprises. Décidément … On rappelle au passage que la dette publique n’est par principe ni bonne ni mauvaise. Tout dépend de ses conséquences.

Mais vous connaissez les pauvres, ils râlent, ils ne sont jamais contents

Nouvelle question, quel est l’intérêt d’un calcul global du pouvoir d’achat sachant que les inégalités sont importantes ? Il est limité. C’est pourquoi les économistes de l’OFCE ont décliné leurs estimations selon les tranches de revenu. Ce qu’on appelle les déciles si on en retient dix. Examiné sous cet angle et sur l’ensemble de la période 2017-2021, le pouvoir d’achat des Français figurant parmi les 10 % les moins riches a progressé de 5 %. L’augmentation atteint 7 % au milieu de la distribution des revenus, et à peine plus de 3 % dans le dernier décile. Mais vous connaissez les pauvres, ils râlent, ils ne sont jamais contents. Alors ils font remarquer que 5 % de rien du tout ça ne fait pas lourd. En tout cas beaucoup moins que 3 % de très gros revenus. De fait les gains atteignent 600 euros sur les quatre années pour le premier décile, 2 000 euros autour des revenus médians, et 2 600 euros pour le dernier décile. Et c’est, d’après les calculs de l’Institut des politiques publiques, beaucoup plus pour les derniers centiles. Vous aviez dit « Président des riches » ? On dirait que certains pectoraux se dégonflent.

Les dépenses de logement figurent parmi les plus contrastées

Comme promis, on revient à l’importance de l’indice des prix dans le calcul du pouvoir d’achat. C’est celui de la consommation des ménages que l’on trouve dans les comptes de l’Insee. Sa faiblesse est qu’il est unique. Or nous n’avons pas tous les mêmes consommations (ici). Les dépenses d’alimentation, d’alcool et de tabac pèsent davantage chez les Français les moins riches. La part des budgets consacrés à la culture, aux loisirs et à la restauration est plus importante chez les Français aisés. Les dépenses de logement figurent parmi les plus contrastées, car elles varient entre propriétaires et locataires et aussi en fonction de la composition des ménages. Elles sont de plus prises en compte de manière très particulière dans l’indice des prix de l’Insee qui ne lui accorde qu’une faible pondération. Pour l’Insee les achats de logements ne relèvent pas de la consommation mais de l’investissement. Cela crée une forte distorsion entre ce que les gens ressentent, la hausse de mon loyer a grevé mon budget, et ce que prend en compte le calcul. On doit aussi ajouter que si la plupart des prix sont à peu près homogènes en France, ce n’est pas le cas de ceux du logement. Se loger coûte davantage en Île-de-France et dans les grandes métropoles, et probablement de plus en plus au cours du temps. De la même façon, le mouvement des gilets jaunes comme la flambée actuelle du prix de l’énergie, ont montré que toutes les catégories sociales ne sont pas confrontées à l’identique aux hausses de prix. C’est une des insuffisances du calcul du pouvoir d’achat à laquelle il est délicat de répondre. Bien plus qu’à de nouveaux traitements statistiques compliqués, elle appelle à des mesures spécifiques des pouvoirs publics pour y répondre.

La suppression d’une partie des cotisations sociales a grevé les budgets sociaux

Un mot encore sur les conséquences des choix économiques effectués sur le dernier quinquennat. Le maintien apparent du pouvoir d’achat des Français les plus pauvres a, entre autres, été obtenu par des baisses d’impôts et de cotisations sociales. Or elles ont eu des contreparties. Sur la dette mais surtout sur les services publics et sur la protection sociale. Réduire les impôts s’est aussi traduit par le maintien des hôpitaux et des établissements d’enseignement dans une précarité extrême. La suppression d’une partie des cotisations sociales a grevé les budgets sociaux. À charge pour les Français de compenser sur leur budget personnel ou d’accepter les nouvelles contraintes qui leur sont imposées. Les collectivités locales ont elles aussi été impactées avec à la clef moins de services proposés aux habitants. Est-ce bien ou mal ? Comme l’expliquait Bernard Maris, nul économiste ne devrait imposer sa vision de la société en invoquant une pseudo-science. C’est à chacun de se forger son opinion.

2 thoughts on “Et si on parlait pouvoir d’achat ?”
  1. Intéressant, merci !
    J’étais un peu sceptique face à l’interview de Mathieu Plane hier matin sur France Info. Je comprends mieux avec votre explication.

    1. Merci ! Les économistes de l’OFCE sont très forts mais dans cette note ils jargonnent un peu. Éric Heyer est toujours clair et j’aime beaucoup son approche de l’économie, plus engagée que celle de Plane, et qui fait aussi appel à la sociologie.

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