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Le blog de Laurent Bisault

Où sont passés les électeurs de gauche ?

Mar 28, 2022

Vous les auriez vus ? Parce que je les cherche et ça urge. Je parle des électeurs de gauche. Au vu des sondages ils représenteraient autour de 25 % des voix pour la présidentielle à venir. Une misère, comme en 2017. Et c’est bien cela qui pose problème. Avant, avant Macron, il en allait autrement. Il y avait un candidat de gauche au second tour avec un partage des voix à peu près équilibré avec la droite. Certes il y a eu 2002, mais en 2002 la gauche éliminée du second tour avait fait plus de 40 % au premier. Certes en 1969 c’était encore pire, mais 1969 c’est loin. En 2017 Macron arrive et fait éclater le système en raflant la moitié des électeurs qui avaient voté Hollande en 2012. Il reçoit aussi les voix de partisans de Sarkozy en 2012, mais en moindres quantités. Les transferts de voix du PS vers Macron ont beaucoup concerné les cadres. Pas les catégories populaires, ouvriers et employés, que la gauche avait déjà perdues au profit de Le Pen et de l’abstention. On pouvait imaginer que l’élection de 2022 soit différente de celle de 2017. Macron a gouverné pendant cinq ans. Il a saccagé une partie des acquis des Français les plus pauvres. Il a réduit les APL, diminué l’indemnisation des chômeurs, cassé une des dernières forces syndicales à la SNCF. Il a refusé d’augmenter les fonctionnaires. Il stigmatise les RMistes et veut lier leurs indemnités à des heures de travail à en faire hurler les associations qui s’occupent de la précarité. Il annonce le recul de l’âge de la retraite. En matière de pouvoir d’achat son action (ici) a favorisé les Français les plus aisés. Or il semble bien que le président-candidat sera réélu.

Et comme en plus les Français aiment les pommes, Chirac ramasse la mise

Pourtant il y avait un truc qui marchait assez bien depuis 1981, c’était l’alternance. En 1981 Mitterrand gagne en annonçant des jours rieurs. Il change de politique en 1983 et aux législatives de 1986 le PS est balayé. Chirac devient Premier ministre de cohabitation mais à la présidentielle de 1988, les Français se disent que finalement Tonton c’était pas si mal. Nouvelle victoire de Mitterrand jusqu’à sa rouste aux législatives de 1993. On enchaîne avec la cohabitation de Balladur qui est défait en 1995 par la droite, mais une droite qui annonce qu’elle va réduire la fracture sociale. Et comme en plus les Français aiment les pommes, Chirac ramasse la mise. Ensuite on a eu Jospin dans un nouveau gouvernement de cohabitation, encore Chirac à la présidentielle de 2002, puis Sarkozy en 2007. Deux fois la droite ? Oui mais en 2007 Sarko qui appartenait au gouvernement sortant, impose l’idée qu’il a été empêché de gouverner depuis cinq ans. Nouvelle alternance avec la victoire de Hollande en 2012 avant celle de Macron en 2017. Et en 2022 réélection probable du sortant. Alors pourquoi ? Comment l’expliquer au-delà de l’habileté d’Emmanuel Macron ?

La gauche a aussi fait payer aux ouvriers les 35 heures en annualisant le temps de travail

Déjà la sociologie joue contre la gauche, du moins si on accepte l’idée que les partis de gauche défendent les employés et les ouvriers. C’est la théorie présentée au PS par le think thank Terra Nova en 2011 : renoncer aux ouvriers dont les effectifs reculent et favoriser les cadres pour de futures victoires. Terra Nova avait vu juste puisqu’il y a en 2022 plus de cadres que d’ouvriers. Et surtout les ouvriers ont muté. Ils ne sont plus métallos de l’industrie automobile ni sidérurgistes. Ils relèvent davantage du secteur tertiaire, et opèrent souvent dans les métiers du nettoyage et de la logistique. Qu’est-ce que ça change ? Qu’ils travaillent dans des entreprises plus petites, avec des conventions collectives moins protectrices, qu’ils sont moins syndiqués, et que l’idée de préparer collectivement un avenir s’est éloignée. Elle a surtout disparu pour ceux dont les emplois ont été détruits par la mondialisation, à qui la gauche n’a pas su proposer d’alternatives. La gauche a aussi fait payer aux ouvriers les 35 heures en annualisant le temps de travail, c’est-à-dire en l’intensifiant. Les cadres en ont à l’inverse profité grâce aux RTT. Pour jouir de ses congés c’est toujours mieux d’avoir de l’argent. La gauche n’a pas non plus su quoi proposer à la place de la défiscalisation des heures supplémentaires, certes critiquable, mais qui augmentait les rémunérations.

Peu de corps sociaux auraient supporté ce qu’ont vécu en termes de salaires les professeurs du secondaire

Petit à petit les gouvernements de Hollande ont imposé l’idée que les contraintes de Bruxelles ne laissaient plus de choix. On a gardé la loi Bachelot dans les hôpitaux, et on a continué à fermer des lits. Avec le virage de la politique de l’offre, les entreprises ont été les grandes gagnantes du quinquennat. Pour compenser, de nouveaux ménages ont été exemptés de l’impôt sur le revenu mais ils ont continué à payer la CSG. L’État s’est ainsi privé de l’impôt le plus redistributif tout en instaurant l’idée que les classes moyennes étaient fiscalement matraquées. De fait il y avait d’autres électeurs qui pouvaient légitimement se plaindre. Ce sont les enseignants qui pendant longtemps ont constitué un électorat captif de la gauche. Dans les années quatre-vingt entrer dans l’Éducation nationale signifiait se syndiquer, tendance PC dans le secondaire et version PS dans le primaire. Mais à force de non-revalorisations des salaires, de leur demander un effort supplémentaire parce qu’ils avaient plus de vacances ainsi que la sécurité de l’emploi, la profession a été précarisée. Peu de corps sociaux auraient supporté ce qu’ont vécu en termes salariaux les professeurs du secondaire. Comment imaginer que la dégradation des résultats enregistrés dans les enquêtes Pisa n’aient pas de liens avec le fait que la profession peine désormais à recruter. Quant à demander aux personnels de l’Éducation nationale de réitérer leurs votes des années quatre-vingt il ne faut pas y compter. Et pas davantage dans le supérieur, car le bilan du quinquennat Hollande, mesuré par les budgets alloués par étudiant, est effroyable. Pire que ceux de Sarkozy et Macron.

En 2012 le vote Hollande a aussi été motivé par le rejet de Sarkozy

Et arriva Macron dont la politique économique a été favorable aux classes moyennes et moyennes supérieures à coups de baisses d’impôts. Suppression de la taxe d’habitation, baisse de l’impôt sur le revenu, soutien pendant la crise sanitaire pour ceux qui n’étaient pas en emploi précaire. Si on ajoute la stigmatisation des chômeurs et des assistés dont l’efficacité n’a nulle part été mieux montrée que par Nicolas Mathieu dans Connemara (ici), et la fin du statut des cheminots, pourquoi ces classes plutôt aisées se plaindraient-elles ? Pourquoi voteraient-elles de nouveau à gauche ? On pourrait même se demander pourquoi l’avaient-elles fait précédemment ? Le vote au référendum de 2005 sur l’Europe avait déjà montré que l’électorat socialiste était fracturé. Comme l’étaient ses dirigeants, même si on n’était pas obligés de croire à la sincérité de Fabius qui avait appelé à voter non. En 2012 le vote Hollande a aussi été motivé par le rejet de Sarkozy. Il s’inscrivait également dans une histoire du progrès sociétal avec le Mariage pour tous, après l’abrogation de la peine de mort et le Pacs. Que propose la gauche aujourd’hui ? En matière de fiscalité c’est Macron qui annonce la possibilité de déclarer en commun les revenus pour les couples en union libre. Une réforme qui n’apportera quasiment rien, car l’injustice fiscale ne se situe pas là. Elle réside dans la taxation des successions quand un des conjoints décède. Or si Emmanuel Macron promet de réformer la fiscalité sur les successions, ce serait uniquement au sein des familles. La déclaration commune pour les unions libres est donc économiquement sans objet, mais politiquement bien pensée. Et comme la question essentielle qui se pose aux Français, comment agir pour limiter le réchauffement climatique ne semble intéresser personne, l’espoir est mince.

3 thoughts on “Où sont passés les électeurs de gauche ?”
  1. Je suis d’accord avec ce que vous avez écrit.
    Je pense aussi que les médias de masse ont bien évolué en 30 ans avec une concentration dans les mains de quelques uns et l’imposition d’un consensus pro néo-libéral.
    Les gens ne consomment plus l’information de la même manière : les JT de 20h sont moins suivis, les gens s’informent davantage par les réseaux sociaux ou les chaînes d’infos en continu.
    J’ai aussi l’impression que les thèmes qui y sont abordés sont d’ailleurs plus favorables à la droite qu’à la gauche : immigration, fraude sociale, … Alors même que les préoccupations des français sont le pouvoir d’achat, la santé et l’environnement, thématiques où la gauche a des choses à dire, elles m’ont l’air de ne pas être abordés autant qu’elles le devraient. Il n’y a qu’à voir comment ont été traité les 2 derniers rapports du GIEC.

    1. Tout ce que tu dis es vrai. Mais il n’empêche que la capacité de la gauche à recréer un bloc majoritaire est aujourd’hui très faible. Avant le PS le faisait mais c’était avant. Ce parti s’est discrédite en détruisant le socle de la société, l’éducation et la santé. La changement climatique aurait pu être un nouvel axe de rassemblement au-delà de la gauche. Mais ça ne fonctionne pas.

      1. J’aurais probablement dû aller plus loin en expliquant qu’avant le sentiment d’appartenance à un destin commun venait de l’accès aux services publics. Mais de ParcourSup à la numérisation des administrations on l’a cassé. Ceux qui savent, les plus diplômés, s’en sortent. Les autres sont perdus

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